Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faudrait d’abord qu’il fût chrétien. » Or le coadjuteur ne l’était pas plus que certains prélats italiens du XVe et du XVIe siècle, qui croyaient bien plus aux miracles de la cabale et de la magie qu’à ceux de l’Évangile, et qui se vantaient même publiquement d’être athées. Retz ne pensait pas qu’il fût indispensable d’avoir une croyance pour être prêtre ou évêque. Un jour l’abbé de Lavardin ayant été accusé d’athéisme en plein conseil de conscience par Vincent de Paul, qui trouvait le cas assez grave pour lui refuser un évêché, le coadjuteur, d’après le témoignage de Tallemant des Réaux, prit chaudement la défense de l’abbé, comme si ce n’était point là une cause d’exclusion, et comme s’il eût eu à plaider pro domo suâ. Il ne croyait pas plus à la magie et aux esprits qu’à tout le reste. Un jour, Mlle de Vendôme lui ayant dit qu’elle doutait fort qu’il crût au diable, il se garda bien, comme on le sait, de la détromper ; loin de là, il lui répondit d’un ton moqueur, de l’air d’un homme qui n’entend pas être pris pour dupe.

La façon dérisoire dont Retz pratique ses fonctions religieuses ne met pas moins à découvert son profond scepticisme. Dans une lettre à la reine[1], Mazarin l’accuse formellement d’avoir révélé le secret de la confession pour amuser des dames ; plus tard, il reproduit la même accusation dans un mémoire adressé au pape[2]. Il l’accuse aussi de dire invariablement la messe sans se confesser, « ce qu’on ne sait pas qu’il ait jamais fait, » ajoute-t-il[3]. Il assure, non sans raison, que le coadjuteur avait « mené une vie fort dissolue, étant abbé, qu’il s’était même battu en duel, » sans avoir « jamais été absous de l’irrégularité et des censures[4], » et qu’il avait « continué la même façon de vivre, au scandale public de tout le diocèse. » Mazarin se complaisait, toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion, à dérouler aux yeux de la reine la liste des méfaits de son ennemi : « Ce ne serait jamais fait si on voulait conter en détail les impiétés, débauches et méchancetés qu’il a faites, sues de tout le monde depuis trois ans[5]. » — « Les plus intimes du coadjuteur, poursuit-il, qui le connaissent dans le fond, tombent d’accord qu’il n’a aucune religion, et que, s’il a affecté de paraître partial et de favoriser l’opinion de Jansénius, ç’a été parce qu’il a cru qu’il aiderait par ce moyen à former un grand parti

  1. Lettre de Mazarin à la reine, Brülh, 10 avril 1651.
  2. Mémoire des crimes sur lesquels le procès doit être fait au cardinal de Retz (juillet 1655). Ce mémoire était destiné à être mis sous les yeux du pape, lorsque Louis XIV intenta par-devant lui, contre Retz, un procès pour crime de lèse-majesté.
  3. Lettre à la reine, du 10 avril 1651.
  4. Mémoire des crimes du cardinal de Retz ; Archives du ministère des affaires étrangères.
  5. Même lettre à la reine, du 10 avril 1651.