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de Retz se préparait de son mieux aux événemens. « Je me résolus, nous dit-il, non pas seulement à suivre, mais encore à faire ma profession. » Le moment lui paraissait venu d’entrer plus sérieusement dans son rôle. Deux de ses intimes amies venaient, l’une de l’abandonner, l’autre de le trahir. « Mme de Guémené, poursuit-il, s’était retirée depuis six semaines dans sa maison de Port-Royal. M. d’Andilly (un des solitaires) me l’avait enlevée ; elle ne mettait plus de poudre, elle ne se frisait plus, et elle m’avait donné mon congé dans toute la forme la plus authentique que l’ordre de la pénitence pouvait demander. Si Dieu m’avait ôté la Place-Royale (où demeurait Mme de Guémené), le diable ne m’avait pas laissé l’Arsenal (habité par la maréchale de La Meilleraye), où j’avais découvert, par le moyen du valet de chambre, mon confident,… que Palière, capitaine des gardes du maréchal, était pour le moins aussi bien que moi avec la maréchale. Voilà de quoi devenir un saint. » Notre abbé devient plus réglé, à l’extérieur, s’entend ; il sauve de son mieux les apparences, il vit fort retiré, il manifeste sa résolution de s’attacher irrévocablement à sa profession, il fréquente les gens de science et de piété, et fait presque de son logis une académie. Il commence par ménager sans affectation les chanoines et les curés qu’il trouve dans les salons de l’archevêché. Il n’ose toutefois faire le dévot, car de temps à autre il aurait à craindre de laisser tomber son masque ; mais il estime beaucoup les dévots, ce qui, « à leur égard, dit-il, est un des plus grands points de la piété. » Cependant, et en secret, il se comporte à la façon du comte de Brion, lequel, ayant été deux fois capucin, « faisait un salmigondis perpétuel de dévotion et de péchés. » Comme il ne peut se passer de galanteries, « la jeune et coquette Mme de Pommereux » le console bientôt des infidélités de Mme de La Meilleraye et de la retraite momentanée de la princesse de Guémené à Port-Royal, qui par le fait n’était qu’une escapade. « Enfin, nous dit Retz, qui poursuit sa confession le plus gaîment du monde en ne cessant d’y mêler celle de ses nobles amies, ma conduite me réussit et au point qu’en vérité je fus fort à la mode parmi les gens de ma profession, et que les dévots même disaient, après M. Vincent, qui m’avait appliqué ce mot de l’Évangile, « que je n’avais pas assez de piété, mais que je n’étais pas trop éloigné du royaume de Dieu. »

Tout d’abord la fortune lui sourit ; aussi ferré sur la théologie que sur l’escrime, un jour, en présence du maréchal de La Force et de Turenne, il est mis aux prises avec un fameux ministre protestant, Mestrezat. La dispute s’échauffe, se prolonge en neuf conférences ; l’abbé finit par l’emporter et convertit un gentilhomme protestant du Poitou. L’affaire fit grand bruit. Un saint homme,