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colère, et qui, voyant partout les complices des assassins, menaçaient de se jeter sur la foule désarmée. On eut grand’peine à les calmer, et les spectateurs se sauvèrent au milieu d’un désordre épouvantable.

Le cryptoportique où se passèrent ces tragiques événemens est presque entièrement conservé. On le parcourt encore tout entier, et l’imagination peut se figurer aisément la scène terrible qui s’y est passée, il y a dix-huit siècles. On revoit ce prince usé par les excès de tout genre, ce vieillard de vingt-neuf ans, tel que Sénèque et Suétone l’ont dépeint en traits ineffaçables, avec cette petite tête sur ce corps énorme, ces yeux creux, ce teint livide, ce regard fauve, ce visage que la nature avait fait sinistre, et que, par une étrange coquetterie, il se plaisait à rendre plus effrayant encore. On suit les assassins depuis le moment où ils pénètrent avec lui dans le portique jusqu’à celui où ils se sauvent par la maison de Germanicus, demandant un asile au père après avoir tué l’enfant. Cette maison même, par un hasard heureux, existe peut-être encore, car il y a bien des raisons de penser que c’est celle qu’on a retrouvée presque intacte à l’extrémité du portique.

Elle fut découverte par M. Rosa en 1869, et c’est assurément l’un des restes les plus curieux du Palatin. On a beaucoup discuté pour savoir à qui elle pouvait appartenir. Il était naturel de croire, en la voyant si rapprochée du palais de Tibère, que c’était sa maison de famille, celle où il était né et que son père lui avait léguée en mourant. Ce fut en effet le premier nom qu’on lui donna ; mais quelque temps après on trouva dans les fondations un tuyau de plomb qui servait pour la conduite des eaux et sur lequel on lisait de distance en distance ces mots gravés en relief : Juliœ Augustœ. Ce nom, qui paraît bien être celui du propriétaire, a été porté par plusieurs personnes, notamment par Livie, la femme d’Auguste, et M. Léon Renier est convaincu que c’est bien d’elle qu’il est question[1]. La maison du Palatin serait donc celle où Livie s’est retirée après la mort de son mari ; c’est là, selon M. Renier, qu’elle a passé dans la tristesse et l’isolement les dernières années de sa vie, haïe et jalousée par son fils, qui rougissait de lui devoir sa grandeur. D’un autre côté, notre petite maison semble bien être celle dont parle Josèphe et par où s’échappèrent les meurtriers de Caligula ; aussi MM. Visconti et Lanciani n’hésitent pas à l’appeler la maison de Germanicus. Quoi qu’il en soit de ces opinions, qu’il ne serait peut-être pas impossible de concilier, la maison est

  1. M. Renier a soutenu cette opinion dans un mémoire publié par la Revue archéologique en 1871, auquel M. George Perrot avait joint une étude importante sur les peintures du Palatin. Depuis cette époque, M. Perrot a reproduit le travail de M. Renier et le sien dans ses Mémoires d’archéologie.