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artistes. Les ouvriers étaient fort nombreux, et se composaient en grande partie de gens « condamnés aux mines » par les tribunaux de l’empire ; ces malheureux, peu faits d’ordinaire à ces rudes travaux, venaient s’ensevelir vivans dans ces cavernes détestées, sous la dure direction d’esclaves ou d’affranchis. C’était une des peines les plus rigoureuses qu’un juge pût prononcer, et pendant les persécutions on l’appliqua très souvent aux chrétiens. Ce n’était pas tout d’avoir tiré le marbre de la carrière, il fallait l’amener à Rome. Des ports de la Grèce et de l’Asie, d’Alexandrie, de Carthage, il partait sans cesse de lourds navires chargés de blocs énormes qui traversaient la mer avec des peines infinies et en courant des dangers de toute sorte. Comme les gros vaisseaux ne pouvaient pas remonter le Tibre, on débarquait à Ostie ; aussi le gouvernement y avait-il établi toute une administration chargée de recevoir les marbres et de les diriger sur Rome. Les blocs de grosseur moyenne étaient placés sur les barques ordinaires, mais il fallait construire des navires spéciaux pour les colonnes monolithes, les statues colossales ou les obélisques de granit. Qu’on songe aux dépenses qu’entraînaient ces opérations compliquées, au prix qu’il fallait payer à ces milliers d’ouvriers, d’employés et de matelots ! Qu’on se figure ce que coûtait le marbre depuis le jour où il sortait de la carrière jusqu’à celui où on l’apportait dans l’atelier de l’artiste qui devait le tailler ! Mais il fallait frapper les yeux de la foule et lui donner toujours de nouvelles merveilles à admirer ; il fallait que cette félicité publique, dont il est fait mention si souvent dans les inscriptions et sur les médailles, éclatât aux yeux de tous. Pour qu’on ne fût pas tenté d’accuser de mensonge les décrets du sénat qui célébraient à l’avènement de chaque prince la prospérité rétablie et le bonheur de l’empire assuré, pour donner de cette prospérité des preuves manifestes, il était nécessaire d’accroître sans cesse les fêtes et de multiplier les monumens. C’est ainsi que la magnificence devint, depuis Auguste, une institution politique et un moyen de gouverner le monde.

Tibère ne paraît pas avoir habité la maison d’Auguste ; elle devint, après la mort du premier empereur, une sorte de lieu public et consacré où se faisaient les cérémonies officielles, mais chaque prince eut son palais à part. Il est question plusieurs fois de celui de Tibère (domus Tiberiana) dans les récits des historiens, et ce qu’ils nous disent fait connaître l’endroit où il était situé. Parmi ces récits, il en est qui ne s’oublient pas : Tacite raconte que le 15 janvier de l’an 69, l’empereur Galba faisait un sacrifice au temple d’Apollon, près du palais d’Auguste. Il avait à ses côtés l’un de ses amis, Othon, qui convoitait l’empire. Les dieux semblaient contraires, les signes observés dans les entrailles des victimes étaient