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utile, elle savait s’approprier ce qu’elle imitait. En introduisant chez eux les inventions du dehors, les Romains les accommodaient à leur génie ; ils en prenaient pour ainsi dire pleine possession, ils les modifiaient et les renouvelaient selon leurs besoins : c’étaient des écoliers qui devenaient vite des maîtres. Beulé fait justement remarquer que ce grand art de bâtir que les Étrusques ont transmis aux Romains, ils n’en ont pas fait eux-mêmes grand’ chose, et qu’il s’est beaucoup plus perfectionné à Rome que chez eux. Les Romains lui ont donné de plus en plus leur caractère, et quand ils l’appliquaient à des constructions d’utilité publique, comme les ponts, les égouts, les aqueducs, ou à des édifices qui comportent surtout la grandeur et la majesté, comme les amphithéâtres et les arcs de triomphe, ils lui ont fait produire des chefs-d’œuvre. Le dirai-je ? il me semble qu’il suffit de regarder ces belles murailles qui nous restent de l’époque royale au Palatin ou ailleurs[1] pour pressentir, pour deviner l’essor que va prendre l’architecture à Rome et dans quel sens elle se développera. Ceux qui les ont bâties, quels qu’ils soient, ne pouvaient pas être des barbares. De si grands ouvrages supposent qu’ils étaient arrivés à un certain degré de civilisation. Ils disposaient de moyens puissans pour poser les pierres les unes sur les autres et les élever à de si grandes hauteurs. Ils avaient le sentiment de ce qu’ils valaient et cette confiance dans leur durée qui fait les grands peuples. Ils ne se sont pas contentés, comme les sauvages, de se construire à la hâte un abri provisoire qui protégeât leur sommeil pendant quelques nuits contre une attaque imprévue ; ils ont songé à l’avenir, ils ont travaillé pour leurs descendans ; au milieu de ces marécages et de ces forêts, ils ont pris soin d’élever des défenses qui devaient durer des milliers d’années : « On commençait déjà, dit Montesquieu, à bâtir la ville éternelle. » J’ajoute qu’ils n’ont pas seulement cherché à faire leurs murailles solides, la façon dont ces blocs sont assemblés montre qu’ils possédaient, au moins d’une manière confuse, l’instinct de la grandeur, le sentiment des proportions, et le goût de cette sorte de beauté qui vient de la force. Assurément, je le répète, ce ne pouvaient pas être des barbares.

Une découverte importante, qui a été faite l’an dernier, prouve combien ces conjectures sont fondées. Les travaux entrepris depuis 1870 dans différens quartiers de la ville, surtout vers les thermes de Dioclétien, ont fait trouver des restes nombreux de ces belles

  1. Le plus beau débris qui reste des murs de Servius se trouve sur l’Aventin, en face de l’église de Sainte-Prisca, dans la vigna Maccarani, qui appartient aujourd’hui au prince Torlonia. Ou trouve là un pan de muraille de 30 mètres de long sur 10 de hauteur admirablement conservé, et qui trappe de surprise et d’admiration. Il ne faut pas manquer de l’aller voir si l’on veut avoir une idée de ces vieilles constructions.