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décidez entre elle et moi. Je suis d’avance certain de votre décision ; avertis par moi, vous élirez pour vos mandataires « ceux qui promettront de me seconder. » — C’est un plébiscite que le maréchal demande au corps électoral ; il aura dans tous les arrondissemens ses candidats personnels, c’est dire qu’il sera lui-même candidat dans les 36,000 communes de France. Eux ou moi ! choisissez. Voilà son premier et son dernier mot.

Si la méthode plébiscitaire est d’une grande commodité pour ceux qui la pratiquent avec adresse, elle a cependant ses inconvéniens, dont le plus grave est que le pays qui se laisse mettre à ce régime inspire beaucoup de défiance à ses voisins, car cette méthode est favorable à la politique d’aventures. Dans une société régie par des plébiscites, la vie circule d’une façon irrégulière et désordonnée ; tantôt le gouvernement est menacé d’anémie, tantôt il souffre d’une abondance subite d’humeurs, d’un afflux de sang au cerveau. Lorsqu’il a interrogé à sa manière le corps électoral et que six millions de voix lui ont donné raison, il se sent en possession d’une force irrésistible, d’une sorte d’omnipotence, dont il est tenté d’abuser, et il est d’autant plus libre de s’abandonner à ses fantaisies qu’il se décharge sur la nation de la responsabilité de ses audaces, qu’elle n’avait pas prévues. — Je t’ai consultée, et tu m’as répondu, peut-il lui dire. — Elle objecterait en vain que la question était mal posée, qu’au surplus on n’a pas entendu sa réponse dans le vrai sens, qu’on lui fait dire ce qu’elle n’a pas dit. De quoi lui serviraient ces explications ? La prérogative du gouvernement est de poser et de rédiger les questions comme il lui convient ; le droit des électeurs est de dire oui ou non ; le plus souvent ils disent oui, et le gouvernement en conclut tout ce qu’il lui plaît. Pendant ces dernières années, l’étranger voyait clair dans les affaires de la France, et il était pleinement rassuré sur ses intentions. On savait que la nation voulait la paix, que, tant qu’elle aurait la libre disposition d’elle-même, elle tiendrait à distance les aventuriers, et qu’elle avait choisi pour la représenter une chambre attentive à ne rien dire, à ne rien faire qui pût inquiéter l’Europe. Depuis le 16 mai, l’Europe ne sait plus à quoi s’en tenir ; elle est dans le doute et dans l’attente, elle se dit : Que trame-t-on dans les coulisses de Versailles ? — Et ceux qui n’aiment pas la France cherchent à la rendre suspecte en manifestant bruyamment les inquiétudes qu’ils éprouvent ou qu’ils affectent d’éprouver.

A la vérité, M. Brunet, ministre de l’instruction publique, tient pour certain que la France n’a point d’ennemis, et il a exprimé sa conviction dans le style qui lui est particulier. Il a protesté devant le sénat que « la France ne songerait jamais à faire la guerre à autrui, que son attitude était franchement, loyalement, acquise à la paix, » et que par conséquent elle n’avait à redouter « aucune agression extérieure. » — « Je