question qu’on adresse au pays et de l’enfermer dans un dilemme propre à l’embarrasser, tel que celui-ci : « Si vous répondez oui » vous aurez peut-être un gouvernement qui vous plaira peu ; mais si vous répondez non, on ne sait ce qui arrivera, et peut-être n’aurez-vous plus de gouvernement du tout ; or vous savez qu’un maître désagréable vaut mieux que l’anarchie. » Le second point est de bien poser la question qu’on a choisie, de la formuler en termes clairs et nets, et il n’y a de tout à fait clair pour la grande masse du genre humain que les questions de personnes : « La main sur la conscience, lequel préférez-vous d’un brave soldat dont vous connaissez le caractère loyal et les excellentes relations, ou d’un avocat qui a des desseins pervers et des amis dangereux ? » Enfin il est toute sorte de moyens légaux ou approuvés par les casuistes de la légalité qu’un habile homme peut employer avec succès pour disposer la nation à faire une bonne réponse, il n’y a que les maladroits qui usent de violence, il est si facile de déguiser la contrainte. On ne brutalise pas les gens, on se contente de les aider à se décider. A cet effet, on transforme en agens électoraux non-seulement les préfets, les sous-préfets et les maires, mais tous les fonctionnaires, quels qu’ils soient, et on leur commande de déployer « une activité dévorante. » Pascal prétendait qu’il est plus facile de trouver des moines que des raisons ; il est plus difficile dans certains cas de trouver des raisons que des juges de paix et des gardes champêtres, et voila pourquoi le procédé plébiscitaire est le plus commode de tous.
Dans la constitution d’un pays libre, il y a toujours une part de mystère. En apparence, un roi constitutionnel et le président d’une république ne peuvent rien ; en réalité, ils peuvent beaucoup. S’ils n’ont pas le droit d’imposer leurs volontés, ils ne laissent pas d’exercer sur les affaires une influence d’autant plus efficace qu’elle est secrète et partant hors d’atteinte, et s’ils ont le génie de leur état, ils unissent par préférer à l’autorité qui se montre l’influence qui se cache. — « La royauté anglaise, a dit M. Bagehot, n’a guère que des fonctions latentes. Elle paraît commander, jamais elle ne paraît lutter. Elle est ordinairement cachée comme un mystère, quelquefois elle attire les yeux comme un grand spectacle ; mais jamais elle n’est mêlée aux conflits. La nation se divise en partis, la couronne demeure en dehors de tous, son isolement apparent la préserve des hostilités et des profanations, et loi permet de se gagner à la fois l’affection des partis contraires. » Depuis le 16 mai, la constitution de 1875 a perdu son mystère. M. le maréchal de Mac-Mahon a préféré le pouvoir à l’influence ; il a renoncé à son rôle d’arbitre et de modérateur des partis. Il s’est découvert, il est descendu dans la lice, il est intervenu dans la politique en tenant à la main une lettre qui n’était pas contre-signée. Il a dit à la nation : — La chambre ne veut pas ce que je veux, et ce qu’elle veut, je ne le veux pas ;