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aucun des souverains constitutionnels de l’Europe, ni le roi des Belges, ni le roi d’Italie, ni la reine du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, n’aurait osé le faire. L’auteur d’un ouvrage devenu classique sur la constitution anglaise écrivait, il y a dix ans : « Malgré la popularité dont la reine Victoria est environnée et si grand que soit le respect qu’elle inspire, que penseraient ses sujets s’il lui arrivait soudain de tenir ce raisonnement : Les whigs sont en majorité dans le parlement actuel, mais je crois que le pays est favorable aux tories ; je vais congédier mon ministère whig, choisir un ministère tory, puis dissoudre le parlement pour voir si le pays n’est pas de mon avis ? Aucun Anglais ne peut rêver à une catastrophe de cette nature, qui lui semble appartenir aux phénomènes d’un monde tout différent de celui qu’il habite. » Ce même publiciste écrivait encore : « Un souverain peut accorder et accorde en effet à un ministère la faculté de renouveler par un appel aux électeurs la majorité qui lui fait défaut dans la chambre des communes ; mais frapper par derrière, pour ainsi dire, et égorger au moyen d’un appel au pays, pris pour complice, le ministère que soutient un parlement en pleine existence, voilà une éventualité qui n’entre plus aujourd’hui dans les calculs… Ce pouvoir appartient en théorie à la reine, cela n’est pas douteux ; mais il est tellement tombe en désuétude et dans l’oubli que, si la reine voulait l’exercer, l’Angleterre serait aussi effrayée qu’en apprenant qu’il vient de se produire une éruption volcanique dans Primrose-Hill[1]. » La doctrine de M. Bagehot est conforme à la pure orthodoxie parlementaire que la reine d’Angleterre a apprise dès le berceau et que M. de Cavour a enseignée au roi Victor-Emmanuel. Tout récemment, un journal italien, l’Italie, s’exprimait ainsi : « Nous avons regretté l’acte du 16 mai, et en cela nous avons été d’accord avec l’opinion publique européenne, avec les gouvernemens aussi bien qu’avec les peuples ; nos idées constitutionnelles, l’admirable exemple que notre roi nous donne depuis plus d’un quart de siècle de son dévoûment à la liberté, de son respect pour la volonté nationale légalement manifestée par le parlement, tout cela fait qu’il nous a été impossible de ne pas être péniblement affectés par un acte qui choque si profondément nos habitudes politiques et notre manière d’entendre et d’appliquer le gouvernement libre. Nous croyons que le maréchal, malgré les bonnes intentions qui l’ont poussé à provoquer une crise si dangereuse, sera forcé de reconnaître combien il a été mai dirigé par ses conseillers. »

Nous doutons que M. le maréchal de Mac-Mahon soit disposé à reconnaître qu’il a été mal dirigé par ses conseillers : il a eu ses raisons pour faire ce qu’il a fait, et ses raisons lui semblent bonnes ; mais, si

  1. La Constitution anglaise, par Bagehot, p. VIII et 339 de la traduction française.