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ont dû recourir de tout temps pour y suppléer et pour maintenir l’harmonie en assurant aux classes populaires des ressources équivalentes. Il ne suffirait pas d’ailleurs d’avoir prouvé que les sociétés ont trouvé partout, dans la continuité des engagemens entre patrons et ouvriers, de précieuses garanties contre l’antagonisme et la souffrance. Il reste à mettre en lumière, avec l’évidence propre à la méthode d’observation, comment les ateliers modèles peuvent réaliser par l’accord des volontés et concilier avec les bienfaits de la liberté cette permanence de rapports qui reposait jadis en Occident, comme en Orient, sur un régime de contrainte. La connaissance de ces procédés importe au plus haut degré à la solution des problèmes qui s’imposent aujourd’hui aux nations manufacturières ; aussi ne saurait-on trop réclamer du savant auteur sur ce point capitaines informations nombreuses et précises.

Déjà, suivant le précepte de Port-Royal, M. Le Play « a travaillé tout de nouveau, sur les différentes vues suggérées par les personnes de lettres, afin de mettre son ouvrage dans la perfection où il était capable de le porter. » Il a fait droit ainsi à des critiques importantes. M. Michel Chevalier avait pu justement reprocher aux Ouvriers européens d’indiquer les sentimens qu’il est bon d’encourager plutôt que les pratiques qu’il est utile de suivre. Notamment pour l’association et le patronage, l’éminent économiste insistait sur mille essais intéressans dus à l’initiative des maîtres ou à l’entente des ouvriers, et même sur des projets plausibles restés en dehors du domaine de l’application. Il regrettait enfin que l’auteur des monographies n’ait paru accorder à ces efforts qu’une attention distraite. Le soin avec lequel M. Le Play a introduit dans les Ouvriers de l’Orient de nombreux complémens donne lieu de penser qu’il sera plus explicite encore pour les Ouvriers de l’Occident. Il voudra sûrement appliquer ses procédés d’investigation à juger par leurs résultats les tentatives que leur nouveauté même dérobait, il y a vingt ans, à l’observation scientifique. Beaucoup, sans doute ont échoué ; quelques-unes méritent d’être mieux connues. Parmi les institutions, jeunes où traditionnelles, que de récens débats recommandent à son attention, nous osons lui signaler les sociétés si actives qui aident l’ouvrier anglais à conquérir l’une des conditions essentielles d’une vie morale, la propriété du foyer, — les lois qui partout, en Prusse, en Angleterre, aux États-Unis comme autrefois en France, protègent la jeune fille contre la séduction et l’abandon, — enfin les coutumes que pourraient s’approprier nos grandes usines modernes pour garantir à l’ouvrier la continuité du travail et la sécurité du lendemain, sans lesquelles il ne saurait connaître ni aisance, ni dignité. En consacrant à des questions d’un intérêt si poignant les efforts de sa vigoureuse analyse, M. Le Play