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elle-même est inconsciente et que les statistiques, par leurs procédés ordinaires, ne peuvent atteindre : ainsi le rôle des subventions de toute sorte, aussi importantes parfois que les salaires et pourtant presque toujours méconnues, par exemple la jouissance gratuité de l’habitation, du jardin ou d’un champ, les allocations payées par le patron ou le seigneur pour les dépenses de santé ou les frais d’école, les impôts ou les assurances, enfin les droits d’usage, pâture, affouage, chasse, pêche, cueillettes ; de même la satisfaction des besoins moraux qu’exprime si confusément le terme général de dépenses diverses, et qui comprend le service du culte, l’éducation des enfans, les sociétés d’assurance ou d’instruction, les livres, les journaux et les récréations.

Il semble que rien ne puisse échapper ici, grâce à la précision et à la sensibilité de l’instrument dont l’observateur est armé. Le cadre des monographies, élaboré et perfectionné pendant vingt années d’études, éprouvé par bien d’autres travaux postérieurs, sans cesse soumis aux critiques de tous, assigne à l’avance les cases diverses où les résultats de l’observation doivent être enregistrés. En outre, condition indispensable pour des documens scientifiques, toutes les monographies tracées dans ce cadre uniforme sont rigoureusement comparables entre elles. Guidé dans ses investigations, prémuni contre toute omission, l’observateur ne trouvera-t-il pas dans sa méthode même le moyen d’être exact et complet ? Et ne pourra-t-il pas donner d’une main sûre au portrait qu’il dessine toutes les retouches qui le rendront ressemblant ? telle était du moins l’opinion de Sainte-Beuve sur « ces monographies si exactes et si complètes qui ne laissent rien à désirer et qui sont d’excellentes esquisses à la plume. » Sans doute de tels documens veulent être scrupuleusement contrôlés, et leur auteur, avec l’impartialité du savant, convie à ces vérifications adversaires et amis. Sans doute aussi d’autres chemins peuvent être ouverts qui conduiront avec sûreté à la découverte du vrai. On doit reconnaître du moins que les travaux dont les Ouvriers européens ont fourni le modèle représentent l’un des plus puissans efforts qui aient été tentés pour introduire dans la science sociale les procédés rigoureux d’investigation qui, après avoir donné un prodigieux essor aux sciences physiques, renouvellent si brillamment l’étude de l’histoire.


III. — LA GENERALISATION DE LA METHODE ET LES OBJECTIONS QU’ELLE SOULEVE.

Il ferait à coup sûr une heureuse trouvaille, celui qui, en déchiffrant un palimpseste oublié, retrouverait quelque monographie semblable de la vie antique : le batelier du Nil ou le pêcheur de la mer Egée,