systèmes en ait souffert ! Les meilleurs ont payé leur tribut à l’engouement pour l’innovation. Au siècle dernier, Turgot, qui réalisa tant de réformes fécondes, obéit à des entraînemens irréfléchis et voulut aussi assurer la félicité des ouvriers ; mais au lieu de rajeunir d’authentiques institutions, corporations ou jurandes, il les détruisit violemment sans écouter les réclamations des intéressés : au nom de la liberté, les maîtres s’affranchirent des devoirs, et les ouvriers perdirent les droits que consacraient des coutumes séculaires. Vers le même temps, Adam Smith, après dix années de méditations solitaires loin des ateliers, montra mieux que personne la puissance du travail dans la production des richesses et formula la loi fameuse de l’offre et de la demande. Vraie dans ses rapports avec le prix des choses, cette règle ne peut sans erreur manifeste être appliquée aux relations du maître et de l’ouvrier, car le travail de celui-ci, c’est-à-dire la vie quotidienne de sa famille, ne peut, comme la vente des marchandises emmagasinées, s’accélérer ou se suspendre au gré des fluctuations du marché. Bien d’autres ont prêché le « laissez-faire » absolu, et des hommes, plus amoureux de la sonorité de la phrase que soucieux de la réalité des faits, proclament encore aujourd’hui comme unique solution « la liberté individuelle du travail, » Beaucoup sans doute, inventeurs enivrés, se flattent d’ouvrir enfin à l’humanité une ère indéfinie de bonheur, et vantent tour à tour l’association, la libre concurrence, la participation, les syndicats, la coopération. Jamais on ne sera trop réservé en face de telles expérimentations : inspirées par les illusions de la générosité, par les caprices de l’Utopie, ou par les appétits de l’ambition plutôt que par les leçons du passé, elles coûtent en cas de revers toujours des larmes et parfois du sang. Il n’en va pas d’ailleurs des rapports des hommes entre eux comme de leurs rapports avec le monde physique : ceux-ci, modifiés par les progrès matériels, se renouvellent sans cesse ; ceux-là, étroitement liés à la nature morale, ne se prêtent guère au changement. La pratique des siècles a depuis longtemps consacré les grands principes sociaux et prononcé sur les combinaisons peu nombreuses qu’ils comportent. Il n’y a pas, à vrai dire, de découvertes à faire, qu’il s’agisse des règles de la famille au foyer ou des coutumes du travail à l’atelier, des devoirs du père envers ses enfans ou du patron envers ses ouvriers. Du reste il y a peu d’inédit dans les inventions sociales qu’on préconise. Le passé en a connu, puis délaissé plus d’une, et la plupart des difficultés dont nous cherchons à sortir ont été prévenues ou résolues par divers moyens suivant les temps et les lieux. Pourquoi dès lors recommencer sans cesse à nos dépens des expériences dont nos devanciers ou nos émules ont déjà fait les frais ?
Dans l’un des dialogues que Xénophon nous a conservés, Périclès