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« Koran, » voilà pour lui un des traits essentiels de leur parenté. « Ne disputez qu’avec courtoisie, dit Mahomet (Sura V, 73), avec ceux qui ont reçu les Écritures, c’est-à-dire avec les juifs et les chrétiens ; mais dites-leur : Nous croyons à la révélation qui nous a été envoyée et aussi à celle qui vous a été accordée ; notre Dieu et le vôtre ne sont qu’un. » Et ailleurs (Sura V, 52, 53) : « S’il avait plu à Dieu, il aurait fait de vous un seul peuple ; mais il a fait que vous différiez afin qu’il pût vous éprouver dans ce qu’il a donné à chacun de vous. Tâchez donc de vous surpasser les uns les autres en bonnes œuvres. Vous retournerez tous à Dieu, et alors il vous dira ce qui concerne les choses sur lesquelles vous ne vous êtes pas accordés. »

Ce sont certainement là des paroles très religieuses, très sensées, très tolérantes, et si l’on objecte que la pratique des musulmans ne ferait guère soupçonner que leur Koran contient des passages aussi pacifiques, nous devons encore une fois demander si l’histoire de l’église chrétienne conduirait aisément quelqu’un ne connaissant pas l’Évangile à deviner que le Christ a lui-même résumé sa morale dans l’amour de Dieu et du prochain.


III

Telles sont les raisons, puisées aux sources mêmes, qui ont paru suffisantes à M. R. Bosworth Smith pour revendiquer le bon droit de Mahomet et de l’islam contre les préjugés vulgaires. L’islamisme serait même à ses yeux, tout bien considéré, la forme de christianisme adaptée aux besoins des populations de l’Asie orientale et de l’Afrique. Il justifie son dire en insistant sur le fait qu’il a répandu autant de principes chrétiens et de morale chrétienne que ces populations en pouvaient recevoir, et qu’il a beaucoup mieux réussi que le christianisme proprement dit à les transformer. C’est bien à tort qu’on parle souvent de l’islamisme comme d’une religion qui se meurt. Qu’elle soit très affaiblie, du moins comme puissance temporelle, dans la Turquie d’Europe, en Égypte, là où elle doit tenir tête aux ardeurs envahissantes de la civilisation chrétienne, c’est ce qu’on ne saurait contester. Mais ce n’est là qu’une fraction, en définitive assez faible, du grand empire de l’islam. La réalité est qu’il fait encore aujourd’hui des conquêtes considérables, et, il faut le dire, il en fait là où les missions chrétiennes n’obtiennent que de maigres résultats, il en fait aux Indes, en Chine et surtout en Afrique. Lui seul sait combattre avec succès parmi les noirs l’ivrognerie, le fétichisme, l’idolâtrie et le cannibalisme. Pourquoi le noir se range-t-il plus volontiers à ce monothéisme rigide et sans images que du côté chrétien, protestant ou catholique ? C’est ce