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pas de rappeler notre moyen âge, qui, n’en déplaise à ses admirateurs de parti-pris et malgré son incontestable poésie, révèle tant de corruption et de grossièreté à ceux qui l’étudient de près.

Quant à l’état religieux de l’Arabie avant Mahomet, il n’était pas de nature à réagir sérieusement contre ces vices invétérés. Le nord de la contrée avait reçu des réfugiés juifs chassés de Palestine par la conquête romaine. Quelques représentans de la même race étaient disséminés dans le reste de la péninsule. Il y en avait près de Médine, et même il arriva au IIIe siècle de notre ère qu’une tribu méridionale adopta le judaïsme. Le christianisme y sema aussi quelques germes, du reste sans grand avenir, et qui ne changèrent rien aux mœurs ni aux coutumes. Le calife Ali pouvait, sans trop d’exagération, dire d’une tribu où le christianisme semblait prédominer : « Ces gens-là ne doivent rien au christianisme, si ce n’est la permission de boire du vin. » Le fait est qu’aucune des deux religions ne jeta en Arabie de profondes racines. L’immense majorité des Arabes était adonnée à un culte très superstitieux qui mêlait à de vagues aspirations monothéistes l’adoration d’une multitude de divinités inférieures et même un fétichisme des plus grossiers. Il y avait des « fils et des filles de Dieu. » — « Ils veulent que Dieu ait des filles, s’écrie Mahomet dans le Koran, et pourtant ils ne veulent pas en avoir eux-mêmes. Si l’on annonce à l’un d’eux qu’une fille lui est née, sa face se rembrunit, et l’on dirait qu’il veut l’étrangler. » Mais il y avait un sanctuaire qui pouvait passer pour central, celui de La Mecque, la Kaaba, de forme cubique, et qui, véritable panthéon, contenait les trois cent soixante idoles vénérées dans toute l’Arabie. On y remarquait une statue d’Abraham, la source Zemzem, qui jaillit du sol tout exprès pour empêcher Ismaël de mourir de soif, et surtout la pierre tombée du ciel au temps d’Adam, jadis d’une blancheur éblouissante, mais depuis longtemps noircie par les baisers des pécheurs. Les pratiques du culte étaient barbares. Il n’était pas rare que des pères immolassent leurs enfans pour apaiser le courroux céleste. Une certaine divination magique s’opérait au moyen de flèches sans plumes que l’on mêlait avant d’en tirer une au hasard. Ce serait pourtant une grande erreur de s’imaginer que l’Arabe soit dévot de nature. Il peut avoir des accès de fanatisme, des réveils de religiosité ardente, mais à l’ordinaire il est plutôt indifférent, sceptique et mauvais pratiquant ; c’est ce qui frappe encore aujourd’hui les voyageurs qui peuvent comparer la ferveur des musulmans de l’Asie-Mineure ou de l’Afrique avec le relâchement habituel des Arabes. La plupart de leurs anciens poèmes respirent un épicurisme complet. Les idées concernant la vie future étaient vagues et contradictoires. Tandis que les uns croyaient à l’anéantissement total, les autres attachaient un chameau au