On comprend dès lors l’indécision relative où demeurent, au regard de l’infaillibilité scientifique, les convictions du philosophe, les obscurités et les équivoques qu’elles renferment, les luttes sans cesse renaissantes où elles sont engagées, les fluctuations qu’elles subissent et le rôle qu’y joue la variété des esprits. Les dogmatismes opposent certitude à certitude sans arriver à se convaincre mutuellement ; d’autre part, comme l’a dit Pascal, la nature confond les sceptiques. La vérité, pour tout ce qui n’est pas, comme la géométrie, objet de définitions précises et de déductions rigoureuses, est dans ces croyances qui tirent de leur conformité aux exigences de la raison et de leur adaptation approximative aux faits assez de force pour s’imposer sans réplique.
On le voit, ce que M. Cournot appelle probabilité philosophique ressemble fort, en son degré le plus élevé, à ce que d’autres ont nommé certitude immédiate. Toutefois ce serait le trahir que de lui faire attribuer aux conceptions rationnelles de l’ordre et de l’harmonie des choses des caractères en tout semblables à ceux des vérités principes des mathématiques, définitions et axiomes. Bien que les probabilités philosophiques aient souvent une force coercitive pratiquement égale à celle des certitudes mathématiques, la philosophie ne peut revêtir la forme scientifique. Comment et pourquoi ? La réponse de M. Cournot à ces questions est un des résultats les plus originaux de ses recherches et mérite d’être mentionnée. La science suppose deux choses : la délimitation précise des caractères et la déduction qui d’un caractère donné conclut un autre caractère. Or c’est ce qui n’a lieu, par suite de notre union avec la nature sensible, que pour l’étendue et les formes de l’étendue. Rigoureusement parlant, la science est identique à la géométrie ; hors de là, au lieu de mesurés exactes et de déterminations précises, nous n’atteignons que des à-peu-près. La chose est déjà manifeste lorsqu’il s’agit de vérifier expérimentalement les théorèmes géométriques ; nous devons nous contenter d’approximations. C’est que la nature physique, en toutes ses démarches, suit la loi de continuité. Elle passe insensiblement d’une valeur à une autre, d’un état à un autre état, d’un phénomène à un autre phénomène ; en elle, le discontinu est l’exception et le continu la règle. Aussi, pour la traiter scientifiquement, ne pouvons-nous en elle établir nulle part des divisions précises, ni tracer des délimitations absolument rigoureuses. Cette disconvenance radicale du discontinu et du continu s’accuse encore davantage lorsque les formes de l’espace ne suffisent plus à représenter même symboliquement nos idées, et qu’il nous faut, pour les exprimer, user des signes du langage. Les mots expriment des idées et des rapports nettement tranchés, sans qu’il y ait passage suivi de l’un à l’autre par nuances indiscernables. Aussi la