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simples. S’agit-il par exemple de l’histoire entendue en un gens philosophique ? Niera-t-on qu’on y trouve le contraste du fait et de la loi, de l’accidentel et de l’essentiel ? Les conditions de la société sont soumises sans doute à l’action générale et incessante de causes continues et uniformes ; mais cette marche régulière des événemens humains n’est-elle pas tantôt accélérée, tantôt entravée par l’apparition soudaine d’influences indépendantes ? Le penseur peut-il ne passe demander ce quêteraient devenues nos nations d’Occident, par exemple, si un César ou un Napoléon n’avaient pas existé ? N’est-il pas vrai que de puissantes initiatives, en s’insérant dans la série des faits y ont été têtes de ligne et ont fait prendre aux choses un cours nouveau ? N’est-il pas vrai que la volonté d’un seul peut précipiter des nations dans de sanglantes aventures dont le contrecoup se répercute au loin dans l’histoire ? Il en est là, toutes choses égales d’ailleurs, comme dans une partie d’échecs « où les coups s’enchaînent, où chaque coup a de l’influence sur les coups suivans, selon leur degré de proximité, sans pourtant les déterminer absolument. » Comment comprendre, si dans l’histoire on n’ouvre pas un chapitre aux accidens, l’influence bonne ou mauvaise des politiques ? Dira-t-on que la politique les a engendrés et mis en scène, et qu’ainsi ce qui semble accidentel est amené comme tout le reste ? Cependant si le temps, en épuisant peut-être toutes les combinaisons possibles du fortuit et de l’essentiel, finit par triompher du hasard, on ne contestera pas que dans la partie humaine où les hommes sont à la fois joueurs, des et enjeux, un souffle, un rien suffit pour déranger, au moins temporairement, les combinaisons en apparence les plus assurées. « Cromwell, a dit Pascal, allait ravager toute la chrétienté ; la famille royale était perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. »

Allons droit maintenant à ce qui paraît le plus soustrait aux vicissitudes du hasard, aux nombres et aux quantités, et nous y constaterons l’existence de raisons indépendantes amenant des résultats accidentels. A première vue, cette assertion semble paradoxale ; on s’imagine volontiers que là tout est lié et mutuellement déterminé, et que rien ne peut y être dérobé à nos prévisions. Pourtant, là, comme ailleurs, il est telle succession qui présente tous les caractères du hasard. Considérez par exemple l’expression indéfinie du rapport de la circonférence au diamètre, 3,141592…, poussez le calcul jusqu’à cent, jusqu’à mille décimales ; les résultats en seront toujours irrégulièrement distribués. Sans aller aussi loin, si on s’en tient à trente-deux chiffres, on verra que les dix chiffres de la numération s’y succèdent sans régularité ; le 0 s’y trouve une fois ; le 1 et le 7 y figurent deux fois ; le 4, le 6 et le 8, trois fois ; le 2 et le 9, quatre fois ; le 3, six fois. Et cependant nous lisons clair