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Raguse? — R. Il lui était depuis longtemps destiné. — D. Savez-vous d’où est venu l’ordre de tirer sur le peuple? — R. Je l’ignore; mais j’affirme que l’ordre contraire a été donné. — D. Avez-vous donné l’ordre de distribuer de l’argent aux troupes? — R. Non. Il ne leur a été distribué que ce qui était nécessaire à leurs besoins. — D. Sur quelle caisse? — R. Je l’ignore; je sais seulement que ce n’est pas sur celle de la liste civile. — D. Qui a donné l’ordre des distributions? — R. Je ne sais. — D. Est-il vrai que vous ayez ordonné le rétablissement des cours prévôtales et l’arrestation d’un certain nombre de députés ? — R. C’est faux.

L’interrogatoire des autres ministres ne différa guère de celui de M. de Polignac. M. de Chantelauze se déclara l’auteur du rapport au roi. M. de Peyronnet tint à faire remarquer, quoique son affirmation ne pût être considérée que comme le résultat d’une inconcevable exagération, qu’il s’était opposé aux ordonnances et ne les avait signées que par dévoûment au roi, qui l’avait comblé de bienfaits. Ce qu’on sait de l’histoire de ces temps agités permet d’affirmer qu’il n’y eut dans le dernier cabinet de Charles X d’autre résistance sérieuse aux actes qui provoquèrent la révolution que celle de M. de Guernon-Ranville, appuyée une seule fois par M. de Peyronnet lorsque la première proposition en fut faite.

Après ce commencement d’instruction, les commissaires de la chambre des députés se retirèrent en promettant aux prisonniers que le secret qui pesait rigoureusement sur eux ne tarderait pas à être levé. Il le fut en effet au bout de quatre jours. Ils eurent alors l’autorisation de communiquer entre eux, de prendre leur repas en commun et de recevoir les membres de leur famille munis de permis. Ces permis ne furent d’ailleurs délivrés qu’à un petit nombre de personnes sur la liste desquelles nous voyons figurer la princesse de Polignac, le duc et la duchesse de Guiche, un homme d’affaires, le valet de chambre du prince, avec cette mention : « deux fois par semaine, » M. de Montmarie, le frère de M. de Chantelauze, M. de Villeléon. Les anciens ministres pouvaient en outre se promener dans un étroit préau dont toutes les issues étaient surveillées par des gardes nationaux. Pendant les premiers jours, ils y vinrent assidûment; mais M. de Chantelauze étant tombé assez gravement malade pour ne pouvoir plus sortir, M. de Guernon-Ranville resta auprès de lui, afin de lui donner des soins. Puis M. de Peyronnet, que la présence des factionnaires importunait et irritait, renonça à toute promenade. M. de Polignac seul continua à se montrer tous les jours, prenant même plaisir à interroger les gardes nationaux et à se faire répéter par eux ce qu’on disait de lui dans Paris.

Le 9 septembre, les anciens ministres furent interrogés de nouveau; mais cette fois, comme on va le voir, l’interrogatoire se fît