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Elle appartenait à cette grande époque de la race allemande où tant de fortes qualités, masquées durant des siècles par la rudesse ou par une sorte de gaucherie, arrivèrent à révéler tout à coup une forme inconnue jusque-là de l’aristocratie humaine. Ce qui caractérisait au plus haut degré cette manière nouvelle de sentir et de penser, c’était la chaleur de l’âme, quelque chose de noble, de généreux, de fort, impliquant le respect de soi-même et des autres. La société française du XVIIe et du XVIIIe siècle avait donné le modèle de ce qui peut s’appeler politesse, esprit éclairé. Goethe et ses contemporains, tout en rendant hommage à notre brillante initiative, montrèrent que Voltaire, malgré sa gloire méritée, n’était pas tout, que le cœur est un maître aussi nécessaire à écouter que l’esprit. La religion ne fut plus la servile attachement aux superstitions du passé, ni aux formes étroites d’une orthodoxie théologique ; ce fut l’infini vivement compris, embrassé, réalisé dans toute la vie. La philosophie ne fut plus quelque chose de sec et de négatif ; ce fut la poursuite de la vérité dans tous les ordres, avec la certitude que la vérité à découvrir sera mille fois plus belle que l’erreur qu’elle remplacera. Une telle sagesse rend celui qui la possède ardent et fort. L’éducation virile que reçut la reine Sophie à la cour de Wurtemberg, sa riche et ouverte nature, lui inculquèrent de bonne heure ces grands principes comme une foi, mais une foi qui ne sait pas ce que c’est que nier et haïr.

Son existence en fut toute pénétrée. L’esprit allemand d’alors ressemblait à Jéhovah, qui, selon la belle expression de Job, « fait la paix sur ses hauteurs. » On ne voulait rien détruire ; on prétendait tout concilier. La reine resta fidèle à cet esprit, même quand il fut renié par plusieurs de ceux qui l’avaient proclamé. Elle se montrait empressée à faire accueil à tout ce qui éclosait de bon dans le monde entier. Le préjugé national était ce qu’elle craignait le plus ; loin de parquer l’éducation morale de l’homme dans les données d’une race et d’une langue, elle rêvait comme Herder un échange réciproque de tous les dons de l’humanité. Sa sympathie ne s’arrêtait que devant le médiocre et le mal ; alors elle ne comprenait plus.

Sa vie se passa ainsi à aimer. Elle aima d’abord le noble pays qui l’eut pour souveraine, et qui, mieux qu’aucun autre, a connu son esprit et sa bonté. Elle aima la Hollande, non-seulement parce que le sort lui en avait fait un devoir, mais parce qu’elle vit tout d’abord ce qu’a de providentiel cet estuaire sacré, asile de la liberté, où tant de fois l’esprit humain a trouvé un refuge contre les pouvoirs trop forts du reste de l’Europe. Qui peut dire que cette mission, il n’aura pas à la remplir encore ? .. La Hollande lui rendait bien son affection. Jamais souveraine ne fut plus populaire. Personne ne comprenait mieux qu’elle l’âme de la nation, sa grandeur passée, ses devoirs à venir. Elle était fière