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plus rassurantes pour l’inviolabilité des institutions, pour la sécurité intérieure et pour la liberté de notre action extérieure ?

Il est vrai que l’action extérieure de la France ne semble point avoir pour le moment à se produire d’une manière directe et sensible. Les ombrages que les événemens intérieurs avaient pu susciter au dehors, un peu dans tous les pays, sont heureusement à peu près dissipés. On n’attribue plus sérieusement une portée diplomatique à une crise dont les effets doivent rester circonscrits dans le cercle de nos affaires françaises. Il n’y a donc plus que l’éternelle et invariable complication de l’Orient ; mais ici les événemens n’ont pas l’air de se précipiter autant qu’on l’aurait cru. Les opérations de l’armée russe en Asie se développent sans doute avec méthode, avec succès, sans rien d’éclatant néanmoins, et quant à la guerre en Europe, on ne peut dire qu’une chose, c’est qu’à la mi-juin l’armée russe en est toujours à préparer le passage du Danube. Tout semble indiquer que cette grande action militaire, si lentement engagée, est destinée à durer, et sans doute aussi à se compliquer en chemin d’incidens diplomatiques difficiles à prévoir. Que sortira-t-il, par exemple, des explications récemment échangées entre le cabinet de Saint-Pétersbourg et le cabinet de Saint-James au sujet des conditions mises par l’Angleterre à sa neutralité ? On ne peut guère le préciser, et lord Derby vient de se tirer d’affaire dans un discours en racontant qu’un jour quelqu’un disait à Canning qu’on aurait tôt ou tard la guerre. « Bien, répondit Canning, je préférerais l’avoir plus tard que plus tôt ! » C’est aussi, à ce qu’il paraît, l’avis peu compromettant de lord Derby.

CH. DE MAZADE.


Un grand deuil pour tous ceux qui aiment la France, en même temps que les bonnes et belles choses, est la mort de la reine Sophie de Hollande. « La dernière des grandes princesses, voilà le titre de l’étude qu’il faudrait faire sur elle, » me disait hier un des hommes qui l’ont le mieux connue, et qui seul pourrait dire tout ce qu’il y eut de sincérité, d’ardeur désintéressée, de hautes aspirations dans cette âme d’élite, victime à tant d’égards de notre siècle de fer. Elle eut en effet au plus haut degré les qualités que le trône exalte, mais ne crée pas. La moderne philosophie, qui fait consister la destinée de l’homme en un effort perpétuel vers la raison, peut ne pas toujours convenir à ceux que le sort a voués aux devoirs humbles ; c’est par excellence la philosophie des souverains. La reine Sophie, y joignant le tact délicat de la femme, répondit victorieusement à ceux qui croient que l’unique perfection des reines est la grâce tendre et abandonnée d’une Marguerite de Provence ou la résignation d’une Jeanne de Valois.