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À peine le gouvernement s’est-il expliqué avec les légitimistes cependant, il est obligé de s’entendre avec les bonapartistes, ou plutôt toutes ces négociations marchent ensemble. Les bonapartistes, quant à eux, n’ont pas tant de scrupules sur les coups d’état et ne font pas tant de façons. Ce qu’ils sont portés justement à exalter dans « l’acte du 16 mai, » ils ne le cachent pas, ils le disent même indiscrètement, c’est un faux air de brumaire ou de décembre, c’est la violence faite au parlement. Qu’on leur donne après cela des préfectures, des sous-préfectures, des justices de paix, ils se chargent du reste, et comme dans beaucoup d’arrondissemens c’est leur candidat qui, aux dernières élections, a serré de près le député républicain élu, ils se croient déjà sûrs de la victoire. Ils voteront pour la dissolution tant qu’on voudra, pourvu qu’on se donne le temps de réorganiser partout la pression administrative. Ils soutiendront provisoirement le ministère, ils l’accablent de leur appui. Le ministère est brave et se croit habile, nous le savons. Il n’ignore pas ce qu’il y a de dangereux dans les concours qu’on lui offre ; il ne croit point pouvoir s’en passer, et il les accepte en se disant que, les bonapartistes dussent-ils revenir en assez grand nombre par la dissolution, ils ne seraient pas encore assez nombreux pour refaire l’empire. C’est possible. Qu’on nous permette seulement une simple réflexion : deux fois en quelques années, le 24 mai 1873 et le 16 mai 1877, on a cru pouvoir se servir des impérialistes sans penser les servir, et deux fois ils ont su, plus que tous les autres conservateurs, profiter de ces crises imprévues pour retrouver une place dans le gouvernement, pour étendre de nouveau leur influence. Allez un peu plus loin aujourd’hui, supposez, à la suite de la dissolution qu’on poursuit, des élections favorables au ministère et une majorité dont la fraction la plus considérable serait bonapartiste : ce ne serait pas encore l’empire, non sans doute ; mais enfin le jour où il y aurait presque partout des préfets de l’empire, où l’on aurait réhabilité les lois et les procédés de l’empire, où les candidatures officielles auraient été remises en honneur, et où les impérialistes, sans former la majorité si l’on veut, seraient assez nombreux pour dominer les délibérations, pourrait-on nous dire ce qui arriverait ? M. le président de la république lui-même aurait beau s’en défendre, il risquerait vraiment de n’être plus qu’un maréchal de l’empire occupant le pouvoir jusqu’en 1880, en attendant mieux.

M. le duc de Broglie peut sacrifier à un intérêt du moment pour avoir sa dissolution d’abord, puis une majorité qu’il espère pouvoir manier, il ne se propose point à coup sûr de rétablir le régime napoléonien ; il se retournerait au besoin, comme on dit : contre un péril nouveau, il chercherait un appui dans d’autres alliances, parmi ceux qui ont concouru une première fois à prononcer la déchéance de l’empire. Eh bien ! ce qu’on ferait devant le péril pressant, que ne le fait-on dès aujour-