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des soldats, des comtes et des évêques carolingiens pour faire de l’ancienne Germanie l’Allemagne, dont l’existence indépendante commence au traité de Verdun : tous ces préliminaires sont exposés simplement et avec une abondance de renseignemens géographiques précieux pour ceux que les mots importunent quand on ne leur fait pas en même temps voir les choses.

Libre, l’Allemagne cherche un temps sa voie. Pendant un siècle, à peu près, la royauté, qui est très faible sous les derniers carolingiens, ne sait ni arrêter les Normands, Slaves et Hongrois, qui continuent l’invasion, ni maintenir l’unité dans le royaume, où se forment des duchés quasi-indépendans ; mais la grande période de l’histoire allemande s’ouvre, quand la dignité royale redevenue élective s’arrête dans la maison de Saxe pour passer ensuite à celles de Franconie et de Souabe. L’Europe orientale appartient alors aux Slaves, qui sont barbares, et aux Byzantins, qui sont décrépits ; l’Italie est en désordre, la France en pleine féodalité. Le royaume d’Allemagne, qui a pour annexes ceux de Lorraine et d’Arles, va de l’Elbe à l’Escaut, à la Meuse et au Rhône. Les rois allemands, devenus rois d’Italie et empereurs, ont pour vassaux des rois. Singulier gouvernement que le leur, ridicule, si l’on considère les prétentions à la monarchie universelle, le goût des oripeaux, des titres fastueux et pédantesques, mais grand, si l’on réfléchit que cet empereur sans capitale et qui chevauche, sa vie durant, à travers son royaume, est un juge, redresseur de torts, serviteur armé du Christ, et, après le pape ou avec lui, l’homme le plus considérable de la chrétienté. Nos rois, dans leur royaume, hommes de sens pratique, font une utile besogne : ils préparent l’avenir, pendant que les empereurs jouissent du présent ; mais, dans le présent, Frédéric Ier Barberousse occupe une place bien plus haute que Philippe-Auguste de France. C’est un roi germain, un suzerain féodal, un chevalier chrétien, un Charlemagne et un César ; c’est un jurisconsulte ancien et un poète du moyen âge ; il parle comme Théodose, mais c’est sur le régime des fiefs qu’il légifère en langue impériale ; il dispute au pape le dominium mundi, et va mourir en Orient, sur la route du Saint-Sépulcre où il conduit les chevaliers d’Occident. Frédéric Ier est un des plus grands personnages que l’on rencontre dans l’histoire de la civilisation : il a en lui tout l’esprit d’un temps.

Cependant les empereurs allemands, occupés à regarder si loin, laissent l’Allemagne se décomposer à leurs pieds. Il y a longtemps que les vieux duchés sont morcelés : dans chacun d’eux, les comtes, les seigneurs ecclésiastiques et laïques, les bourgeois des villes d’empire deviennent indépendans. Mille causes favorisent le progrès de la féodalité. Les empereurs paient en privilèges l’appui dont ils ont besoin : contre les grands, ils ont recours aux petits, et, pour dompter quelques rebelles, ils arment des légions d’indociles, si bien que leur