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marine, réclamés par l’amiral, et également condamnés à mort, eurent leurs peines mitigées en dix années de travaux forcés à Mindanao et dans l’île de la Paragua, séjours mortels à ceux qui y travaillent un sol encore Vierge. Les prêtres, les avocats et les commerçans inculpés furent jugés par un conseil de guerre spécial ; on désigna pour fiscal, ou commissaire du gouvernement, un commandant d’infanterie, gouverneur de province en disponibilité, don Manuel Boscaza. Des défenseurs d’office, officiers d’infanterie, leur furent donnés avec un délai de vingt-quatre heures pour préparer la défense. On n’accusait pas les insurgés d’avoir voulu fonder un empire, comme Novalès, aux Philippines, mais de s’être proposé d’y préparer l’avènement de la république, d’accord en cela avec les chefs du parti avancé espagnol.

Après huit heures de débats, le conseil de guerre condamna à la peine du garote ou de la strangulation les trois prêtres José Burgos, Mariano Gomez et Jacinto Zamora. Un Indien, nommé Saldua, qui espérait obtenir sa grâce en récompense de ses délations, fut également condamné à mort, Enrique Paraiso, José Basa Enriquez, à la peine immédiate, c’est-à-dire à dix années de travaux forcés ; les vicaires Mendoza, Guevara, Gomez Feliciano, Laza, Desiderio, Dandan, les avocats et commerçans Regidor, Pardo, Paterno, Mauricio et plusieurs autres à la même peine, mais elle devait être subie aux îles Mariannes, et pendant une période variant de deux à huit ans. Les autres accusés, Indiens obscurs, étaient au nombre de deux cents environ ; soixante-dix d’entre eux, qui avaient été condamnés au garote, virent leurs peines commuées en dix années de travaux forcés. L’un d’eux cependant fut exécuté : c’était un sergent des guides, malfaiteur de la pire espèce.

Ce jugement en masse de créoles, de métis et d’Indiens par un même conseil de guerre a été une grande faute. Jusqu’ici ces différens types de la race indigène avaient vécu en défiance les uns des autres : on leur a appris en les jugeant ensemble que leurs intérêts étaient solidaires. Les survivans auront dû se dire que leurs anciennes rivalités devaient faire place à une entente générale, afin de pouvoir combattre un jour avec avantage leur ennemi, c’est-à-dire leur maître.

C’est le 15 février 1872, à onze heures du soir, que le conseil de guerre rendit sa sentence ; mais avant de se retirer pour recueillir les voix, le président du conseil demanda aux accusés s’ils avaient encore quelque chose à dire pour leur défense ; Burgos et Zamora protestèrent de leur innocence, soutenant que jamais ils n’avaient eu de rapports avec les insurgés de Cavite, et qu’il n’était résulté des débats aucune charge positive contre eux. Le curé Gomez, vieillard de soixante-onze ans, d’aspect vénérable, se borna à dire qu’il était