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eurent l’agréable surprise de voir un pavillon blanc flotter sur un des bastions de l’enceinte. Le général fit alors former deux colonnes pour livrer un assaut immédiat. Au moment où les troupes s’ébranlèrent, la porte principale du fort s’ouvrit, et donna passage à un petit groupe d’insurgés qui portaient un pavillon parlementaire. Le second gouverneur laissa arriver la députation à quinze pas, puis ordonnant à ses soldats de faire une décharge générale de leurs armes, les parlementaires tombèrent foudroyés. Comme la grande porte par où étaient sortis les mutins était restée ouverte, les soldats, enlevés par leurs officiers, la franchirent au pas de course ; les insurgés n’opposèrent pas de résistance sérieuse, ce qui ne les empêcha pas d’être pour la plupart passés par les armes. On fit grâce à un moine européen que l’on trouva dans l’enceinte, et dont la présence en un pareil lieu et en pareille compagnie ne fut jamais expliquée. Deux officiers espagnols, prisonniers depuis plusieurs mois à San-Felipe, et qui avaient pris parti pour le mouvement, perdirent la vie : l’un fut fusillé par ordre du général Espinar, l’autre se fit sauter la cervelle.

D’après plusieurs récits dignes de foi, les projets des conjurés étaient connus de beaucoup de personnes aussi bien dans la capitale qu’en province. Ce qui donne une apparence de vérité à ces versions, c’est que le jour même où à Manille on apprenait les événemens de Cavite, les prisons s’ouvraient déjà pour recevoir le curé de la cathédrale, José Burgos, Augustin Mendoza, curé de Santa-Cruz, Mariano Gomez, curé de Bacoor, Feliciano Gomez, Antonio-Maria Régidor, éminent avocat, conseiller municipal, Joaquin Pardo de Tavera, conseiller d’administration, Enrique Paraiso, Pio Basa, anciens employés, et José Basa. Quelques jours après, une nouvelle série de prêtres créoles et indigènes était conduite à la forteresse. La terreur fut telle parmi les indigènes que beaucoup d’entre eux n’osèrent plus venir sur les marchés apporter leurs denrées. Une commission d’Espagnols péninsulaires se rendit au palais pour faire remarquer au gouverneur que, si une pareille proscription continuait, c’en était fait de la prospérité des Philippines, mais le général Izquierdo ne voulut pas la recevoir. L’arrivée en rade de bâtimens de guerre français, anglais, américains et italiens, accourus pour protéger leurs nationaux, ne fit qu’augmenter le trouble qui régnait dans les esprits. Le régiment d’artillerie indigène fut désarmé et embarqué subitement sur un navire de guerre pour l’île de Mindanao ; il fut remplacé par 2,000 soldats expédiés d’Espagne en toute hâte.

Les quelques sergens et soldats faits prisonniers dans le fort San-Felipe passèrent en conseil de guerre et furent aussitôt fusillés, une moitié à Manille et une moitié à Cavite. Les soldats d’infanterie de