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compte des observations de l’archevêque et de la déclaration des prêtres séculiers. Ceux-ci, après la révolution de 1868, profitant de la faculté d’écrire que leur assurait la liberté de la presse en Espagne, résolurent de se défendre dans les journaux de la Péninsule. Mais le capitaine-gouverneur des Philippines défendit l’entrée des publications européennes dans la colonie. Le Correo de Ultramar, journal espagnol qui se publie à Paris et qui n’a aucune couleur politique, ne fut même pas excepté.

À cette époque eut lieu à Manille une manifestation qui montre à quel degré les indigènes de toute condition étaient exaspérés. Quelques créoles avaient obtenu du gouverneur que les restes d’un illustre Espagnol, don Simon de Anda et Salazar, restés ensevelis sous les décombres de la cathédrale à la suite d’un tremblement de terre, fussent transportés dans l’église de Saint-François. La patriotique conduite de cet homme énergique mérite d’être racontée. En 1762, l’Angleterre étant en guerre avec l’Espagne, l’amiral Cormick se présenta avec 13 vaisseaux et 6,830 hommes de débarquement devant la capitale des Philippines pour 3’en emparer. À bord de l’escadre se trouvaient 350 soldats, nos compatriotes, que les Anglais avaient faits prisonniers à Pondichéry. Guidés par un sergent français nommé Bretagne, quelques-uns d’entre eux réussirent à recouvrer leur liberté et à se joindre aux Espagnols. Les autres Français eussent suivi en masse cet exemple, si deux de leurs émissaires n’eussent été massacrés aux portes de la ville par les Indiens, qui les prirent pour des ennemis. Malgré une sortie vigoureuse dirigée par un officier français, M. Faller, alors au service de l’Espagne, les Anglais pénétrèrent dans la place après y avoir jeté 5,000 bombes. Manille fut livrée au pillage pendant quarante heures. Ce n’est pas tout : l’amiral, qu’avait irrité la résistance, fit savoir aux vaincus qu’il les passerait au fil de l’épée, si 20 millions ne lui étaient comptés. Chacun se cotisa, et cette somme, énorme pour l’époque, fut versée entre les mains du terrible Cormick.

Au moment de l’arrivée de l’escadre anglaise devant Manille, les Philippines avaient pour gouverneur intérimaire un archevêque, ancien récollet, nommé don Manuel Antonio Rojo. Prévoyant que la ville allait tomber au pouvoir, des Anglais, le prélat nomma Simon de Anda lieutenant du roi et l’envoya en province avec mission d’organiser la résistance. Simon quitta Manille à dix heures du soir, sur une embarcation grossière du pays, n’ayant avec lui qu’un domestique indigène, 5,000 piastres et 40 feuilles de papier timbré. Un ardent patriotisme l’animait, et son activité parvint à suppléer aux armes et à la flotte qu’il lui eût fallu pour chasser les Anglais. Simon de Anda était alors âgé de soixante ans, il était juge au tribunal de la Audiencia et jusque-là il n’avait rien su de l’art de la guerre.