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garde aux présides d’Europe pour le seul fait d’avoir trop hautement exprimé leurs regrets politiques. Il est vrai que l’innocence de ces malheureux fut reconnue, des indemnités leur furent même accordées, leurs persécuteurs désavoués ; mais le mal était fait, et le souvenir de ces proscriptions ne s’est plus effacé.

C’est vers cette époque que débarqua à Manille un nouveau gouverneur, le capitaine-général Martinez, accompagné d’un grand nombre de sous-officiers. D’ordinaire ce n’est pas avec des sergens qu’un pareil personnage arrive aux Indes. On sut bientôt qu’il réservait à ces subalternes les grades de lieutenans et capitaines dont divers créoles étaient investis. La menace de cette spoliation, qui indiquait une grande méfiance à l’égard d’officiers honorables, fit une vive impression dans l’armée ; mais l’exécution de cette mesure était loin d’être facile. Or voici ce qu’imagina Martinez pour y procéder d’une manière en apparence légale. Lorsqu’une nomination d’officier est faite dans la colonie par le capitaine-général, ce dernier remet au titulaire un brevet provisoire qui doit être échangé contre un brevet définitif, signé à Madrid de la main du roi. Comme les communications entre l’Espagne et les Philippines se faisaient alors par la voie de Mexico, qu’elles n’avaient lieu qu’une fois par an, beaucoup d’officiers indigènes négligeaient de faire venir leurs diplômes de Madrid. Martinez déclara tout à coup, par un décret à jamais resté célèbre aux Philippines, que ceux d’entre eux qui ne pourraient lui présenter leurs titres définitifs devaient se considérer comme mis d’office à la retraite. L’indignation fut grande chez les chefs indigènes que cette disposition atteignait, un jeune capitaine du nom de Novalès, sujet distingué, se fit bientôt remarquer par la véhémence de sa protestation. Très aimé et très influent dans son régiment, ses amis, créoles comme lui, loin de le calmer, le chargèrent de prendre en main leurs causes, offrant de le soutenir par les armes, s’il le fallait. Novalès hésitait encore lorsqu’une nouvelle injustice vint mettre un terme à son indécision. Un ordre du général lui enjoignit de s’embarquer pour l’île lointaine de Minda-nao dans un bref délai, ordre qui, à cette époque, équivalait à un exil. La veille de son départ, Novalès apprend que, par une circonstance qu’il considère comme providentielle, son frère Mariano Novalès, lieutenant d’infanterie, commande la garde qui est à la forteresse, et que son ami intime, Ruiz, un autre officier, garde les portes de la ville militaire. Novalès réunit les mécontens, proclame l’indépendance des Philippines, et, comme Iturbide à Mexico, se fait proclamer empereur. Le premier soin des rebelles est de s’emparer des clés de la ville, déposées la nuit chez le lieutenant du roi. Celui-ci, comme un brave soldat, défend son dépôt, mais est tué dans la lutte. Novalès se présente ensuite à la tête des