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ministre de l’intérieur, n’obtinrent qu’à grand’peine la permission de leur parler; puis, après deux entrevues avec les prisonniers, en présence des geôliers ou de gardes nationaux, ils reçurent l’ordre de quitter la ville. Ces mesures étaient motivées moins par les exigences d’une surveillance sévère que par la nécessité de pourvoir à la sûreté des anciens conseillers de Charles X. La population de Tours était exaspérée contre eux. Chaque jour, des attroupemens se formaient autour de la prison, située à l’extrémité de la rue Royale, du côté de la Loire, et les autorités avaient hâte de voir finir un état de choses éminemment périlleux. Il existe dans le dossier qui est sous nos yeux plusieurs lettres de M. d’Entraigues, nommé préfet d’Indre-et-Loire le 5 août, en remplacement du comte de Juigné, qui réclament avec instance du ministre de l’intérieur la translation des prisonniers à Paris. Le 24 août, M. Guizot annonçait une prompte solution, et enfin dans la nuit du 25 au 26, à deux heures et demie du matin, une grande diligence, escortée par des gardes nationaux et des gendarmes que commandait le capitaine Gillet, sous les ordres de deux commissaires spéciaux, MM. Foy et Vaudet, chargés par le gouvernement de veiller à la sécurité des anciens ministres, les emportait vers Paris. M. de Chantelauze avait pris place dans le coupé, M. de Peyronnet dans l’intérieur, M. de Guernon-Ranville dans la rotonde. Le trajet s’effectua sans incident, si ce n’est à Chartres, où un rassemblement d’exaltés menaça un instant les voyageurs. Partout ailleurs, les manifestations se bornèrent aux cris de « à bas Polignac! » Enfin le vendredi 27, à cinq heures du matin, la diligence arrivait à Vincennes, en longeant les boulevards extérieurs.

Le général Daumesnil, soldat énergique, humain et loyal, amputé d’une jambe, illustré par maints faits d’armes, commandait, comme gouverneur, le château de Vincennes, qu’il avait défendu deux fois, en 1814 et en 1815, contre les armées alliées, répondant alors à ceux qui lui proposaient de rendre la place : « Je rendrai Vincennes quand on me rendra ma jambe, » ou encore, quand le feld-maréchal Blücher lui offrait de payer la reddition au prix de 3 millions : «Je ne vous rendrai pas la place, mais je ne vous rendrai pas non plus votre lettre. A défaut d’autres richesses, elle servira de dot à mes enfans. » C’est à cet homme éprouvé que le roi Louis-Philippe avait voulu confier la garde d’une prison contre laquelle la présence des anciens ministres allait ameuter les fureurs populaires. Le général reçut les nouveaux arrivans avec les égards dus à leur infortune, les installa dans les logemens qu’ils devaient occuper, et où un huissier de la chambre des pairs vint ensuite leur signifier un ordre d’écrou.

Dans cette même matinée du 27 août, le prince de Polignac,