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dans la mauvaise voiture qui les conduisait de Châteaudun à Tours, un voyageur leur décrivit l’état des esprits dans cette ville. Ce qu’ils apprirent à ce sujet les détermina à ne pas y entrer sur-le-champ. Ils abandonnèrent leur véhicule à la porte des faubourgs où ils avaient résolu de coucher. La nuit était déjà venue. En cherchant une auberge, ils s’égarèrent et se trouvèrent tout à coup auprès d’un petit village qui se nomme La Membrolle et que traverse la route du Mans. Presqu’en même temps, ils furent entourés par une demi-douzaine de paysans armés qui veillaient autour de leurs demeures, afin d’en éloigner les incendiaires dont les récens exploits dans les départemens voisins avaient dicté aux populations rurales du centre de la France des mesures de prudence et de sûreté. M. de Chantelauze étant hors d’état d’opposer aucune résistance, M. de Guernon-Ranville se résigna à le suivre chez le maire, qui les interrogea. Satisfait des explications du premier, qui prétendait être un colporteur de Bordeaux parti de Paris sans avoir pu se procurer des papiers, satisfait également du passeport du second, le magistrat municipal allait les laisser continuer leur route; mais ceux qui les avaient arrêtés furent d’avis qu’il convenait de les conduire à Tours le lendemain, et le maire donna son adhésion à ce projet. L’arrestation de M. de Peyronnet, sur lequel, disait-on, on avait saisi « une charge de billets de banque » et dont ses collègues apprirent en ce moment la nouvelle devenue publique, avait rendu les paysans défians et craintifs. Ils veillèrent toute la nuit autour de l’auberge où étaient enfermés les voyageurs suspects, qui durent dès lors renoncer à toute velléité d’évasion.

Le lendemain, ils furent séparés en arrivant à Tours. M. de Guernon-Ranville, fort d’un passeport parfaitement en règle, protesta avec la dernière énergie contre son incarcération en réclamant sa mise en liberté. Soumis à un long interrogatoire, il avait été assez heureux pour convaincre de son innocence le substitut du procureur du roi, et ordre était donné d’ouvrir la porte de sa prison quand tout à coup contre-ordre arriva. M. de Chantelauze, accablé par la fatigue et moins heureux que M. de Guernon-Ranville, enfermé avec des malfaiteurs, venait de se nommer, afin d’obtenir qu’on le traitât avec les égards dus à son rang. Dès lors on renonça à laisser partir son compagnon, qui persista néanmoins à se donner pour le sieur Barbier et qui ne fut reconnu comme étant l’ancien ministre de l’instruction publique que vers le 15 août.

Les trois ministres arrêtés à Tours y furent, jusqu’au moment de leur départ, l’objet de la détention la plus rigoureuse. M. de Montmarie, beau-fils de M. de Guernon-Ranville, M. de Villeléon, gendre de M. de Peyronnet, arrivés dès que la nouvelle de l’arrestation avait été connue, un sieur Durand, venu aussi pour voir l’ancien