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l’administration, les Indiens enlèvent à l’Océan et livrent chaque jour à la consommation d’énormes quantités de poissons à peine formés : c’est la poutina des rivages méditerranéens ; on en fait, à Manille une sorte de saumure peu goûtée : des Européens. Dans plusieurs provinces, à Batangas et dans les Visayas, on fait beaucoup de salaisons, et celles qui proviennent de ces contrées sont excellentes, bien supérieures à toutes celles qui arrivent en assez grande quantité d’Europe aux Philippines. Tout le monde sait que ce genre de nourriture, s’il est excessif, vicie le sang, et les Indiens des Philippines, comme beaucoup d’autres races ichthyophages de l’Océanie, sont atteints de maladies cruelles ; la lèpre, qui se perpétue encore dans ces parages, s’y maintiendra à coup sûr tant que la vie matérielle n’y sera ni plus saine ni plus variée.

Il est une autre pêche, celle des huîtres perlières ; elle se fait au sud des Philippines, dans la mer des Visayas, et sur les côtes de l’île de Mindanao, à l’aide d’appareils à plongeurs ou de longs râteaux en bambou. Non-seulement ces riches mollusques donnent la nacre, mais encore la perle qui s’y trouve enfermée. Toutes les huîtres ne procurent pas de beaux produits, mais dans chacune d’elles il y a des petites perles qui ne sont pas sans valeur. Les Chinois en raffolent et les paient chèrement ; les grosses, d’un orient parfait, vont presque toujours décorer les chapeaux des mandarins. On pêche dans les mêmes parages le balate, ou l’holothurie, qui, desséchée, fait aussi les délices des Célestes. Aux sommets des falaises escarpées des îles Paragua et de Calamianes, on voit voltiger les petites hirondelles connues sous le nom de salangane. Pour atteindre leurs nids, les Indiens courent souvent le danger d’être précipités à la mer, et c’est ce qui explique les prix élevés que donnent les gourmets de la Chine de ce produit. Les insulaires excelleraient dans les travaux de l’art nautique s’ils avaient été dirigés par un gouvernement plus actif que ne l’est celui d’Espagne. L’arsenal maritime de Cavite, dans lequel se trouve un grand bassin de carénage, n’emploie pour la construction ou la réparation des navires de guerre espagnols que des ouvriers du pays. On ne peut s’imaginer leur aptitude pour ces travaux, qui pour la plupart exigent des connaissances spéciales ; en quelques mois, on voit des Indiens devenir, par imitation seulement et comme par instinct, d’excellens charpentiers et d’habiles calfats. Malheureusement ces dispositions naturelles n’ont pas été utilisées, et dans une contrée où les bois de construction navale abondent, c’est à peine si l’on trouve deux ou trois chantiers qui méritent cette dénomination. Sans maîtres, sans études, les indigènes n’en construisent pas moins des goélettes, des bricks, des prahos, des cascos, sorte de gabares