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par le garde champêtre de la petite commune de Saint-Étienne-extra, qui a été réunie depuis à la ville de Tours. L’agent de la force publique voulut voir les papiers de ce voyageur mystérieux et pressé, dans lequel il devinait un grand personnage politique fugitif. M. de Peyronnet exhiba un passeport que M. Capelle lui avait remis à Trianon, mais dont le garde champêtre contesta la régularité. Des passans s’étaient attroupés ; l’un d’eux déclara qu’il fallait conduire l’inconnu à la poste aux chevaux, et M. de Peyronnet dut se résigner. On le fit entrer dans l’habitation du maître de poste, où un habitant de Tours, ancien magistrat destitué sous son ministère, le reconnut, et, obéissant à un sentiment de vengeance dont dans un tel moment se serait gardée une âme généreuse, osa le dénoncer. L’ancien ministre ne chercha pas à nier son identité. Il subit à la maison d’arrêt un interrogatoire sommaire, à la suite duquel il fut gardé à vue dans l’infirmerie de la prison, tandis que les autorités récemment installées annonçaient à Paris la nouvelle de son arrestation et demandaient des ordres, afin de savoir ce qu’elles devaient faire du prisonnier[1].

A la même heure, MM. de Chantelauze et de Guernon-Ranville, ignorant les événemens, s’étaient mis en route pour Tours, convaincus que là viendrait se reconstituer le pouvoir royal et que leur présence pourrait être utile à Charles X, s’il se décidait à résister à la révolution. Partis de Rambouillet dans la matinée de la veille, après avoir passé la nuit dans une mauvaise auberge, ils s’étaient rendus à Chartres à pied, faute d’avoir pu trouver un véhicule. M. de Guernon-Ranville était porteur du passeport d’un employé du château de Saint-Cloud, nommé Barbier, qui correspondait avec exactitude à son signalement. M. de Chantelauze avait rempli lui-même d’un faux nom un passeport en blanc, qu’il déchira ensuite, n’osant s’en servir. Les deux anciens ministres, détail assez piquant, étaient encore en frac, et c’est à Chartres seulement qu’ils purent se procurer des vêtemens mieux appropriés à leur nouvelle et triste situation. Le trajet de Rambouillet à Chartres, bien qu’il n’y ait entre les deux villes qu’une distance de huit lieues, leur prit quatorze heures. M. de Chantelauze, souffrant et frêle, ne marchait qu’avec lenteur. M. de Guernon-Ranville, à qui sa robuste santé et la vigueur de son âge eussent permis de se sauver aisément, s’il eût été seul, se refusait à l’abandonner.

Durant cette longue route, ils recueillirent plus d’un témoignage de l’exécration à laquelle était voué dès ce moment Is ministère dont ils avaient fait partie. Ils purent comprendre que c’en était fait de la royauté, et n’eurent plus de doute à cet égard quand le lendemain,

  1. C’est à Tours que nous avons recueilli le récit de l’arrestation de M. de Peyronnet.