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avait rendu quelque espérance, il se décida à cheminer au moins jusqu’à Rambouillet, à la suite de Charles X, dont on apprêtait le départ. M. de Chantelauze, partageant ses sentimens, se joignit à lui; mais, tandis qu’ils cherchaient à prendre place dans une des voitures de la cour, un général accourut vers eux et leur reprocha de compromettre le roi par leur présence. Ils protestèrent vivement contre ces reproches et, sans en tenir compte, se réunirent au long cortège qui partit à cinq heures du soir. Leur collègue, le baron Capelle, monta dans la voiture où ils se trouvaient. Loin de s’associer à leurs dernières illusions, il leur fit connaître que le roi, conservant l’espoir de négocier avec Paris, estimait que, dans l’intérêt des négociations aussi bien que pour eux-mêmes, il était désirable que les signataires des ordonnances ne demeurassent pas auprès de lui. L’expression de ce désir équivalait à un ordre auquel les anciens ministres n’avaient qu’à se conformer. Ils se séparèrent de la famille royale, à dix heures du soir, au moment où elle arrivait au château de Rambouillet, première étape de l’exil dont la route se rouvrait devant elle et d’où, deux jours plus tard, elle devait se diriger vers Cherbourg, sous la protection des trois commissaires désignés par le nouveau gouvernement pour l’accompagner jusqu’à sa sortie de France.

Nous devons suivre maintenant M. de Polignac et ses collègues à travers les péripéties de leur fuite. Les rumeurs qu’ils avaient recueillies, les symptômes qu’ils avaient constatés en passant à Versailles et sur la route de Trianon à Rambouillet ne leur permettaient pas de se faire illusion sur la gravité des périls qui les menaçaient. Partout où la révolution exerçait son influence, partout où les insurgés de Paris comptaient des approbateurs et des complices, les derniers ministres de Charles X étaient l’objet de l’animadversion générale; autant dire que par toute la France on maudissait leur politique funeste, on flétrissait leur nom. Les contemporains de ces temps agités se souviennent encore des injures et des menaces par lesquelles se traduisait l’exaspération publique. Les royalistes de toute nuance, les plus violens comme les plus modérés, accusaient les membres du cabinet du 8 août d’avoir perdu la monarchie par leur imprévoyance et par leur faiblesse. Les libéraux leur reprochaient les ordonnances et entendaient les rendre responsables du sang versé. On annonçait leur mise en accusation et, pour châtier leur conduite, la peine de mort ne paraissait pas trop rigoureuse. C’est surtout contre le prince de Polignac que la haine populaire était exaspérée, s’augmentant de la vieille impopularité de sa famille et enveloppant dans ses manifestations bruyantes les hommes politiques associés à son œuvre.