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vient celle de la poésie. Dans sa métamorphose du plâtre au bronze, la statue de Lamartine a perdu le malencontreux laurier qui avait si singulièrement poussé sous les pas du poète. Il faut féliciter M. Falguière de ce sacrifice. Bien que l’ajustement paraisse un peu étrange, cette statue a une belle tournure en son élégante silhouette, Ingres, une autre grande figure de ce siècle, est modelé en forme de métope avec la fermeté et la précision habituelles à M. Guillaume.

Parmi les nombreux bustes qui ont la prétention d’orner l’allée centrale, il en est bien peu qu’on doive regarder. Voici un ravissant buste de femme, par M. Franceschi, plein de grâce et de vie. L’œil s’anime, la bouche sourit, la narine frémit, le sein soulève le corsage, la chevelure ondule avec légèreté sous l’ébauchoir vital du sculpteur. Voici une tête d’enfant, par M. Paul Dubois, qui, comme modelé, comme physionomie et comme coiffure, rappelle singulièrement, mais avec une puissance moindre, le profil que nous avons admiré dans les salles de la peinture. Voici le buste romantique de Carpeaux, par M. Hiolle ; le buste plus romantique encore de verdi, par M. Genito. Voici enfin les jolis bustes de MM. Aizelin, Allouard, Portalis, Adam Salomon, et un charmant médaillon de M. Lecomte du Nouy.

Le jury a décerné une première médaille au petit Ismaël de M. Just Becquet. C’est la justice qui a dicté cette décision. Depuis Rude on n’avait pas exprimé avec une telle science et un tel art le corps nu d’un adolescent dans son mouvement et dans son apparence de vie ; mais tout en louant la valeur de l’exécution, nous ne saurions faire trop de réserves sur le choix du sujet et sur le caractère du type. Ce type maigre, débile et chétif est malheureusement fort en honneur parmi les statuaires contemporains. Au Salon, on peut compter jusqu’à quarante de ces adolescens nus ou demi-vêtus, debout ou étendus. Et le jury semble encourager les artistes dans ce choix de formes antiplastiques, car il n’a de récompenses que pour ces figures qui ne sont ni des éphèbes venus de la palestre, ni des amours descendus de l’olympe, mais des gamins déshabillés. Plus de dix de ces souffreteux adolescens ont été médaillés ou mentionnés, ou achetés par l’état : l’Amour piqué, de M. Idrac, l’Épave, de M. Gougny, l’Age sans pitié, de M. Hoursolle, le Jeune David, de M. Icard, le Saint Jean, de M. Laoust, le Jeune martyr, de M. Decorchemont, l’Abel mort, de M. Garnier, et tant d’autres malingres créatures. Il semble qu’on veuille exiler la femme de la terre du marbre au profit de l’enfant. Or n’y a-t-il pas plus de puissance, d’ampleur, de noblesse, de grâce forte, de richesse de formes et de véritable beauté dans un corps de femme que dans toutes ces chétives nudités d’adolescens ?