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la tête ; l’absence de volonté dans le type y contribue aussi. On trouverait encore bien des défauts de détails. Le pouce de la main qui tient le bois de rare est trop long, et le jeu des muscles mal rendu de l’autre bras fait paraître ce bras comme bistourné.

M. Moreau-Vauthier, dans une belle statue de Néréide, a évité d’une façon très ingénieuse un écueil que plus d’un de ses confrères n’aurait pas même aperçu. Un peintre eût pu représenter la nymphe marine assise sur les flots ; mais un sculpteur devait craindre que la mince volute d’une lame ne parût point à l’œil assez consistante pour soutenir un corps de marbre. C’est pourquoi M. Moreau-Vauthier a assis sa Néréide sur une grande coquille univalve portée par la mer. La fille de Nérée prend une pose facile, le corps de trois quarts, la tête tournée à gauche, la jambe droite tombant naturellement le long de la coquille et la jambe gauche repliée en arrière. Cette statue ne perdrait pas à être décapitée par la bombe d’un Morosini, car, sauf la tête, d’un type vulgaire et d’une physionomie maussade, c’est une charmante figure, d’un modelé moelleux et vivant. Le dos surtout est admirable de rendu. On sent l’imperceptible tressaillement des muscles sous l’enveloppe frémissante de la chair.

L’Omphale endormie de M. François Roger est aussi une statue qui a le charme et la grâce. La Lydienne est vue de face, étendue nue sur un lit de repos, dans une attitude abandonnée que le sculpteur a su rendre très chaste. Le corps prend de souples flexions en une ravissante ligne serpentine. Bien que le talent du sculpteur s’y manifeste, nous aimons moins la Biblis changée en source de M. Leenhoff. La tête est belle, la pose simple et noble, mais par l’absence de poitrine supérieure, la figure paraît plate. Tout serait à louer dans la Phœbé de M. Denécheau, l’élégance du galbe, le naturel de l’attitude, le talent du praticien, si le sculpteur n’avait eu l’idée bizarre de coucher cette figure dans un croissant de lune. Avec l’aide des couleurs, un peintre nous montrerait sans aucune peine la lune dans son plein ou dans un de ses quartiers ; mais un sculpteur qui découpera le croissant lunaire dans un bloc de marbre ne représentera jamais qu’une colossale tranche de melon. La ronde-bosse n’est pas apte à rendre les astres, les auréoles, les sillons de foudre, les jets de flamme et toutes ces choses fugitives ou intangibles.

Sans nous égarer à chercher le sens de la symbolique quintessenciée de M. Gustave Doré, qui fait tenir à Éros le fil de Lachésis, contentons-nous de parler du groupe la Parque et l’Amour au point de vue de l’effet et de l’exécution. La svelte et gracieuse figure de l’Amour est modelée avec une délicate précision, bien surprenante