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fallait rallier les troupes éparses sur les divers points du territoire. M. de Guernon-Ranville, convaincu néanmoins que la monarchie pouvait encore être sauvée, exposa de nouveau son projet et le fit adopter. Les ministres s’occupèrent de préparer les ordonnances nécessitées par ces mesures, ainsi que les circulaires aux préfets, aux receveurs généraux, aux autorités militaires et aux procureurs généraux. M. de Peyronnet fut chargé de rédiger une proclamation pour annoncer à la France que le roi était résolu à combattre la révolution par tous les moyens dont il pourrait disposer et pour appeler les bons citoyens au secours de la monarchie.

Ces actes étaient presque terminés, et les ministres se préparaient à les soumettre à la signature du roi, quand on vint les avertir que la cour allait partir pour Rambouillet. C’est M. Capelle que le roi avait chargé de leur faire connaître ses desseins, de les engager à pourvoir à leur sûreté, et de leur offrir, avec des passeports en blanc, quelques secours d’argent, car il les supposait avec raison dépourvus de toutes ressources. M. de Montbel distribua une somme de 6,000 francs entre les membres du conseil. Tandis que M. de Polignac se rendait auprès du roi, ses collègues se hâtèrent de détruire les actes qu’ils venaient de rédiger et qui auraient pu témoigner contre eux des moyens de défense qu’ils avaient préparés. Puis ils songèrent à se mettre en sûreté, sans se résigner cependant à s’éloigner encore. Charles X ne vit aucun d’eux, à l’exception du prince de Polignac et du baron Capelle. Il adressa au premier les plus tendres adieux, et comme M. de Polignac, dont on ne saurait contester la longue et inébranlable fidélité à la maison des Bourbons, offrait de verser son sang pour la cause que son imprévoyance avait perdue, le roi répondit : — Partez, je vous l’ordonne ; je ne me souviens que de votre courage, et je ne vous accuse pas de notre malheur. Notre cause était celle de Dieu, celle du trône et de mon peuple ; la Providence éprouve ses serviteurs et trompe souvent les meilleurs desseins dans des vues supérieures à nos courtes vues; mais elle ne trompe jamais les consciences droites. Rien n’est perdu encore pour ma maison. Je vais combattre d’une main et transiger de l’autre. Rendez-vous derrière la Loire, où vous serez à couvert des séditions et des vengeances du peuple égaré, au milieu de mon armée, qui a ordre de se rendre à Chartres.

En quittant le cabinet du souverain, le prince de Polignac rencontra M. de Guernon-Ranville et lui dit : — Je viens de voir votre mémoire entre les mains du roi. Nous allons à Tours. — Puis, ayant à la hâte pris congé de lui, il s’éloigna; il ne devait plus le retrouver qu’au donjon de Vincennes. MM. de Montbel, d’Haussez et de Peyronnet partirent de leur côté, sans faire connaître leurs projets. Quant à M. de Guernon-Ranville, à qui l’avis de M. de Polignac