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que ses concessions tardives ne seraient pas repoussées. Vers deux heures, on apprit que MM. de Sémonville et d’Argout avaient échoué dans leur tentative ; on connut en même temps la nomination du duc d’Orléans comme lieutenant-général. Le roi persista néanmoins à espérer en l’habileté du duc de Mortemart, et vers le soir, toujours sans nouvelles de lui, dévoré d’inquiétude, il envoya à sa recherche un des officiers de sa maison, M. Arthur de la Bourdonnaye.

Vers minuit, Charles X, qui venait de se coucher et de s’endormir, fut réveillé tout à coup par la duchesse du Berry. On avait annoncé à la princesse que des bandes d’insurgés marchaient sur Saint-Cloud. Saisie de terreur, non pour elle, mais pour ses enfans, elle suppliait le roi de pourvoir au salut de la famille royale, en abandonnant ce palais, qu’elle croyait menacé par l’émeute. Après avoir pris conseil du duc d’Angoulême et du maréchal Marmont, le roi céda. Il fit appeler le baron d’Haussez pour lui faire savoir qu’il se rendait à Trianon et qu’il engageait ses anciens ministres à le suivre. Le duc d’Angoulême devait le rejoindre le lendemain avec les troupes restées fidèles à la couronne. A deux heures de la nuit, Charles X quittait Saint-Cloud avec sa famille et sa cour, protégé par une escorte dont le duc de Raguse avait pris le commandement.

En arrivant à Trianon, le roi réunit autour de lui M. de Polignac et ses collègues, dont l’inutilité de ses concessions l’obligeait à réclamer les conseils en ce moment critique. Ceux-ci déclarèrent unanimement qu’il n’y avait aucun bon résultat à attendre des pourparlers engagés à Paris, et qu’il fallait s’apprêter sur-le-champ à tenir tête à la révolution. M. de Guernon-Ranville, qui était assurément le plus énergique des ministres et dont l’énergie s’élevait à la hauteur d’un péril provoqué malgré lui, proposa la translation du gouvernement à Tours, où seraient appelés le corps diplomatique et les grands corps de l’état. Il proposa en outre la convocation des chambres dans cette ville pour le 15 août, la retraite de la famille royale au-delà de la Loire, ainsi que les mesures propres à isoler Paris du reste de la France. Ces propositions furent approuvées. Cependant, avant de les adopter définitivement, le roi voulut connaître l’avis de son fils resté à Saint-Cloud afin de protéger sa retraite.

Le duc d’Angoulême arriva dans la matinée suivi de quelques milliers d’hommes. Il venait de courir les plus grands dangers au pont de Sèvres, où il s’était vu abandonné par une partie de ses soldats, et de donner là, comme jadis au pont de la Drôme, des preuves de son intrépidité. Ainsi la situation s’aggravait d’heure en heure. De Paris, on n’osait plus rien espérer. Versailles était en insurrection, comme presque toute la France, et pour reprendre l’offensive, il