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dessine comme dans la nature sa taille ramassée, mais toujours ferme et droite. La tête, avec sa couronne de cheveux d’un blanc très vif, à reflets d’argent, ressort en puissant relief. Les traits crient la ressemblance. C’est bien là cette tête si bien proportionnée, comme celle des hommes dont l’équilibre des facultés, — ce que les Grecs appelaient l’harmonie, — est la caractéristique : ce front large où, plus que l’âge, la pensée a gravé ses rides ; ce nez à l’arête pleine, aux narines coupées carrément et dont le peintre a accusé la saillie par une ombre portée, vigoureusement projetée sur la lèvre supérieure ; cette bouche où la lèvre inférieure un peu charnue s’avance en recouvrant le bord de la lèvre supérieure très mince, droite et pareille à un trait de pinceau ; ce menton dont l’ossature puissante trahit la volonté et l’énergie ; ces joues un peu alourdies, mais sans mollesse, qu’entoure un faux-col empesé ; ces yeux vifs et lumineux, si perçans sous le verre de légères lunettes, soutenues par une flexible armature d’acier ; cette haute arcade sourcilière, remplie par une paupière épaisse et dont l’arc s’accentue par le froncement des sourcils clair-semés. M. Bonnat s’est surpassé dans ce beau portrait. La tête est peinte très franchement par larges méplats. Les plis de la peau du front, les reliefs et les dépressions qui s’accusent dans les chairs des joues, les rides qui se creusent perpendiculairement aux deux coins de la bouche, tout cela est accusé sans exagération et sans minutie. Le seul reproche qu’on puisse faire à M. Bonnat, — sans parler des mains, mains soufflées de goutteux, comme coupées par des plis aux jointures des phalanges, qui ne sont nullement celles du modèle, — c’est d’avoir peint M. Thiers dans un des aspects les moins habituels de sa physionomie. Ce front plissé, ces sourcils froncés, ces commissures des lèvres qui s’abaissent dans un caractère de tristesse, donnent au visage une expression soucieuse et assombrie qui n’est pas celle qu’on est accoutumé de voir à M. Thiers. Peignant un homme de Plutarque, M. Bonnat a immobilisé dans le bronze cette physionomie si vivante et si mouvante. Un peu plus d’animation dans les traits, un peu plus de vivacité dans le regard, un peu plus de vie dans la carnation, et ce portrait serait la saisissante effigie de ce grand homme que n’atteignent ni les années ni les événemens.

Quelle plus féconde et quelle plus heureuse collaboration que celle de MM. Meissonier et Alexandre Dumas ! Égale bonne fortune pour le peintre et pour le modèle. Comme on devait s’y attendre, M. Meissonier a composé ce portrait en tableau. C’est un portrait ; c’est aussi un intérieur. M. Alexandre Dumas est peint de face, assis près d’une massive table de chêne sculpté, surchargée de livres, de papiers et d’objets d’art. Le torse un peu en arrière, la tête