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de le mariage, commanderait plus tard de le dissoudre. » Les terribles colères du roi contre sa nièce ne prouvent pas grand’chose, car ces éclats s’accordent fort bien avec des desseins secrets. Le roi tenait au consentement de Jeanne ; il n’était peut-être pas fâché d’avoir une arme secrète contre le prince allemand. Le mariage ne pouvait être consommé à cause de l’âge de la princesse, et, en deux ou trois ans, tout pouvait changer en Europe.

Le mariage fut un vrai mariage de théâtre ; la sainteté du sacrement fut blessée par des réserves et des dissimulations réciproques. La débile enfant qu’on traînait à l’autel avait une couronne d’or sur la tête et était comme écrasée sous le poids d’un long manteau cramoisi doublé d’hermine et de jupes en toile d’or et d’argent couvertes de pierreries. Elle ne voulut pas marcher à l’autel, et l’on vit alors, sur l’ordre du roi, le grand connétable de Montmorency la saisir et l’y porter. Brantôme raconte que le connétable, honteux du service qu’il venait de rendre, dit en retournant à sa place à ses amis : « C’est fait désormais de ma faveur, adieu lui dis. » La reine Marguerite, qui le détestait, n’avait pu dissimuler sa joie. Tous les ambassadeurs, excepté Bonvalot, assistèrent à cette scène étrange. Après les festins et le bal vint le simulacre du mariage. « Le soir, dit Bordenave, l’historien de Jeanne d’Albret, l’espous fut mené en la chambre et au lict de l’épousée, auquel il mit l’un pié seulement en la présence de l’oncle et des père et mère de la fille et de tous les grands seigneurs et dames de la cour, qui ne bougèrent de là qu’ils n’eurent mis dehors le povre espous pour aller coucher ailleurs ; ainsi il n’eut de tout ce mariage que du vent. »

Il restait à conclure des arrangemens diplomatiques : le duc de Clèves et sa femme s’engagèrent à ne rien aliéner des états de Navarre, de Béarn, de Bigorre et de Foix, sans l’autorisation du roi de France. Les articles de l’alliance entre François Ier et le duc de Clèves furent l’objet de longs débats : François Ier voulait une alliance offensive, et les plénipotentiaires du duc, se retranchant derrière les états de Gueldre, de Juliers, de Clèves, cherchaient à la rendre simplement défensive. Le duc repartit pour l’Allemagne sans avoir donné pleine satisfaction au roi et arriva heureusement à Dusseldorf.


II

François Ier travaillait à faire alliance avec Soliman et avec la république de Venise. Antoine Rincon, agent du roi auprès du Grand-Turc, était occupé à aller de Turin à Venise pendant les fêtes du mariage de Jeanne d’Albret. Soliman était entré en campagne en Hongrie, et Rincon allait le rejoindre avec un Génois du