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François Ier voulait marier à une fille du roi d’Angleterre ou à une fille de Charles-Quint, qui aurait apporté le Milanais en dot. Le roi de France n’offrait à sa sœur pour gendre qu’Antoine de Bourbon, un cadet pauvre et qui semblait sans avenir. Henri d’Albret commençait à ouvrir l’oreille à des propositions plus flatteuses de Charles-Quint ; François Ier en fut informé, et il n’hésita pas à s’emparer de sa nièce. Il la retira du château d’Alençon et l’emprisonna, on peut bien se servir de ce mot, dans le triste donjon de Plessis-les-Tours, où Louis XI avait caché ses terreurs et ses remords. Il est permis de croire que ce séjour, en jetant son ombre sur l’enfance de Jeanne d’Albret, ne contribua pas peu à donner à ses pensées le tour sérieux qu’elles gardèrent toute sa vie. Sa santé d’ailleurs était débile et causait de fréquentes inquiétudes à ses parens.

François Ier et Charles-Quint étaient alors en paix : une trêve de dix ans avait été signée à Nice, et l’empereur, désireux d’aller punir les révoltés de Gand, n’hésita pas à demander au roi de France à traverser ses états. Toutes les étapes de son voyage sont connues ; François Ier fit parade de magnificence et de prodigalité : il semblait qu’il voulût accabler son rival de sa générosité. L’empereur fut reçu à la frontière par le duc d’Orléans, et près de Bayonne par le dauphin ; on le mena à Bordeaux, à Poitiers ; le roi l’attendait à Loches, avec la reine, Henri d’Albret et la reine de Navarre, la dauphine Catherine de Médicis et la duchesse d’Étampes. Les fêtes se succédèrent à Chenonceaux, à Amboise, à Blois, à Chambord, à Orléans, à Fontainebleau. Paris vit enfin le grand ennemi de la France ; l’empereur y resta une semaine ; il passa aussi quelques jours à Chantilly chez le connétable. Le roi de France ne prit congé de lui qu’à Saint-Quentin.

L’orgueil des compagnons de Charles-Quint, vêtus de couleurs sombres et montés sur des chevaux rustiques, avait souffert de toutes les splendeurs qu’on avait étalées devant eux. L’empereur s’était trouvé un moment à court d’argent ; on l’avait vu souvent malade, toujours grave et préoccupé. Il avait fait des réponses évasives à toutes les ouvertures que ses hôtes lui avaient faites relativement au Milanais ; réservé avec tout le monde, il n’avait eu de caresses que pour Henri d’Albret. Arrivé à Bruxelles, l’empereur, délivré de l’hospitalité française, dit à son frère Ferdinand, roi des Romains, et à sa sœur Marie d’Autriche, reine de Hongrie, qu’il n’avait pas promis le Milanais à François Ier, qu’il avait seulement offert de donner sa fille avec un apanage au duc d’Orléans. Il demandait en retour la main de Jeanne d’Albret pour son fils. Il chargea son ambassadeur, François de Bonvalot, d’ouvrir une négociation à ce sujet. François Ier se crut joué et ne cacha pas sa colère ;