Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

offre, à ce qu’il nous a semblé, un saisissant intérêt qui le recommande à l’attention des lecteurs, — intérêt qui résulte autant des enseignemens qu’on y pourra recueillir que du caractère dramatique de ces heures lointaines, si peu connues de la génération nouvelle et dignes cependant d’être tirées de l’oubli.


I.

Onze mois et vingt-trois jours s’étaient écoulés depuis l’injuste et irréparable chute du ministère dont M. de Martignac avait dirigé la politique libérale et tenu le drapeau dans les chambres, lorsque, le 25 juillet 1830, le cabinet qui a conservé dans l’histoire le nom du prince Jules de Polignac soumit à la signature du roi Charles X quatre ordonnances qui n’étaient à ses yeux qu’un moyen de légitime défense contre les passions hostiles à sa politique et l’exercice d’un droit conféré à la couronne par l’article 14 de la charte constitutionnelle, mais qu’à l’exception du parti de la cour, la France entière, avec raison, considéra comme une atteinte à ses libertés. Conséquence fatale et logique, sinon préméditée, du système réactionnaire dont l’avènement de M. de Polignac avait signalé la victoire, ces ordonnances constituaient, en même temps qu’une déclaration de guerre au parti libéral, la réponse du cabinet aux décisions des collèges électoraux qui venaient d’infliger à sa politique un désaveu solennel, en approuvant celle de l’adresse du 16 mars, par la réélection presque totale des 221 votans de cette adresse. Elles parurent dans le Moniteur du 26 juillet, contre-signées par le prince de Polignac, président du conseil, M. de Chantelauze, garde des sceaux, le baron d’Haussez, ministre de la marine, le comte de Peyronnet, ministre de l’intérieur, le comte de Montbel, ministre des finances, le comte de Guernon-Ranville, ministre des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique, le baron Capelle, ministre des travaux publics, en un mot par tous les membres du cabinet, sauf le maréchal de Bourmont, ministre de la guerre, en ce moment devant Alger. Ils engagèrent donc tous leur responsabilité, quoique tous n’eussent pas approuvé au même degré ces actes insensés, et quoique M. de Guernon-Ranville notamment les eût combattus jusqu’au bout, ne se décidant au dernier moment à les signer que pour ne pas affliger le cœur du roi.

La première ordonnance suspendait la liberté de la presse; la seconde prononçait la dissolution de la chambre à peine élue et qui n’avait pas encore siégé; la troisième créait un système électoral nouveau, absolument restrictif; la quatrième convoquait les collèges électoraux pour les 6 et 18 septembre suivant, et les chambres pour le 28 du même mois. Elles étaient précédées d’un