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enfermé dans sa gangue. Ils s’habitueront rapidement à cette poésie qui a un goût de terroir, et ils se laisseront séduire. Dans la préface qui précède son recueil des chants du pays messin, M. le comte de Puymaigre a très bien défini ce charme dont la poésie populaire vous enveloppe peu à peu. « Ce n’est pas tout de suite, dit-il, qu’on se laisse aller à cette séduction étrange; il faut s’habituer à l’absence d’art, au défaut de transition, à la négligence de toutes les règles. C’est une mélodie toute naïve, toute simple, et pourtant on ne l’aime qu’après l’avoir entendue souvent. Quand on a commencé à lire des chansons populaires, on ne s’arrête plus... La poésie populaire n’a pas longue haleine, elle ne fait point de récits détaillés, elle se passe d’exposition, elle entame un sujet brusquement par le point qui lui semble le plus intéressant... Elle n’indique pas les changemens de lieux; elle fait passer, sans en avertir, d’une scène dans une autre; elle ne donne pas la parole à tels ou tels personnages, ils la prennent d’eux-mêmes, c’est à l’auditeur à se débrouiller et à deviner les interlocuteurs. Elle n’intervient du reste ni pour les blâmer, ni pour les louer, elle se contente de les mettre en scène et s’efface derrière eux. Elle est naïve, concise, vive, imprévue... »

On ne peut mieux dire, et j’ajouterai qu’à mes yeux la plupart de ces défauts constituent des qualités. C’est précisément dans cet effacement de l’auteur derrière les acteurs de son drame, dans cette absence de rhétorique raisonneuse, dans ce mouvement rapide et prime-sautier que consiste la poésie lyrique. Vienne un grand poète, un maître artiste, Goethe, Heine ou Hugo ; comme un magicien, il touchera du doigt l’une de ces chansons aux rimes assonantes, et il en fera un chef-d’œuvre comme le Pêcheur, le Pèlerinage à Kewlar ou le Petit Roi de Galice. La paysanne court-vêtue se métamorphosera en une princesse habillée de drap d’or et d’argent. Toutefois, je le répète, il ne suffirait pas pour opérer cette transformation de s’exercer à transcrire ou à arranger à la moderne les productions de la muse rustique. Un pareil travail serait sans profit pour l’art. Non, l’étude de la poésie populaire doit être le commencement d’un effort plus digne et plus fécond.

Les poètes des époques classiques ont tiré de l’étude des Grecs et des Latins tout le suc et la moelle qu’il leur était possible de s’assimiler. Depuis longtemps déjà, l’arbre enchanté du romantisme a passé l’âge de la grande production ; sa verdure s’effeuille par le haut, ses bras noueux se couvrent de lichen, et il ne donne plus que de loin en loin des fruits d’arrière-saison, à la forme bizarre et à la saveur étrange. Les envieux et les malintentionnés prétendent même que notre littérature d’imagination est dangereusement