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militaires et à leurs enfans des secours pécuniaires. Aux sous-officiers qui consentent à un rengagement, on accorde une haute paie, variant de 60 à 84 roubles par an, et on leur réserve en outre certains emplois civils. Après dix ans de service, ils touchent une gratification de 250 roubles, après vingt ans ils ont droit à une pension ou à 1,000 roubles une fois payés. Là, comme ailleurs aussi, en dépit de toutes ces amorces à la cupidité ou à la vanité, le nombre des rengagemens est insuffisant, et le recrutement des sous-officiers demeure précaire.

Sous quelque face que l’on étudie son état militaire, on trouve la Russie en voie de transition. Ni pour l’instruction des hommes, ni pour l’armement, ni pour le nombre des soldats, l’armée russe n’est ce qu’elle sera dans quelques années ; elle est surprise par la guerre en flagrant délit de reconstruction. Cela ne veut pas dire qu’elle soit désorganisée : en touchant à tout, la nouvelle loi s’est gardée de tout bouleverser. Dans l’armée comme dans l’administration, dans les institutions militaires comme dans les institutions civiles, les réformes en Russie n’entraînent point des révolutions. Si les défauts, si les abus y sont moins vite redressés, les remèdes employés y produisent moins de désordre, moins de désarroi. L’armée a eu les avantages de la situation politique du pays, le bénéfice de la stabilité du pouvoir et de l’esprit de suite. Un fait à cet égard résume toute son histoire : le ministère de la guerre n’a point changé de direction depuis une quinzaine d’années ; c’est le même ministre, M. Milutine, qui pendant toute cette période a conduit les réformes, les adaptant aux enseignemens des dernières grandes guerres, cédant sans entêtement ni précipitation aux leçons souvent variées de l’expérience, et dans le même dessein obéissant parfois tour à tour à des principes différens.

La Russie eût eu tout avantage à voir la guerre retardée de quelques années, dont chacune eût grossi ses ressources et fortifié ses réserves. Aujourd’hui elle est encore plus propre à la guerre défensive qu’à une campagne offensive ; plus l’empire est vaste, et plus ses troupes ont de chemin et d’efforts à faire pour sortir de chez lui. Comme l’immensité de son territoire, qui plus d’une fois a englouti ses envahisseurs, le caractère de ses soldats, leur soumission, leur résignation, leur esprit de sacrifice, semblent assurer à la Russie plus de succès dans la défense que dans l’attaque. Si dans l’état actuel de ses ressources il y aurait pour elle imprudence à entrer en lutte avec une des grandes puissances militaires du continent, la Russie a pu sans présomption faire la guerre à la Porte. En Asie comme en Europe, les Russes rencontrent dans la disposition du terrain des obstacles formidables, mais ils ont ce qu’il faut pour en