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V.

Après les petites et grandes misères du ménage viennent les misères et les ridicules de la vieillesse. Le paysan regarde volontiers les vieillards comme des êtres inutiles. Le grand âge ne lui apparaît pas comme un temps de repos et de sérénité, mais comme une période de déclin et de maladie. Aussi la chanson populaire est-elle sans pitié pour les vieilles gens. Tout au plus accorde-t-elle un mot de compassion aux filles qui ont coiffé sainte Catherine et qui font un retour mélancolique sur leurs jeunes et glorieuses années :

Nous portons rides au visage,
Les cheveux nous viennent tout blancs,
Nous avons beau à nous coiffer,
Nous laver le visage,
Nous avons beau à nous poudrer,
Nous n’pouvons plus nous faire aimer.

(Chanson de l’Angoumois.)


Elle compatit également aux infortunes des filles qu’on a enfermées au couvent et qui vieillissent dans le cloître en regrettant le monde et le temps perdu :

Maudit soit le faiseur de toile
Qui a fait mon voile.
Maudits ciseaux si dangereux
Qui ont coupé mes blonds cheveux !

Si j’étais petite hirondelle,
Que j’euss’ des ailes.
Je volerais si haut, si haut.
Je m’en irais dans mon château.


Mais elle flagelle et ridiculise impitoyablement les mariages disproportionnés, les vieilles encore férues d’amour qui épousent des jeunes gens, les vieillards qui ont acheté à beaux écus comptans la jeunesse d’une épouse fringante et de robuste appétit. Voici, par exemple, l’histoire de Rosette qui a pris un homme de quatre-vingt-dix ans. Cette courte chanson est aussi délurée et gaillarde qu’un conte de La Fontaine. On y décrit la nuit des noces et les ruses de l’octogénaire, qui semblent empruntées au Calendrier des vieillards :

Quand vint le matin jour
Où Rosette se réveille :
« Mon Dieu, dit-elle,
Qui l’aurait jamais dit
Qu’à mon mariage
J’aurais si bien dormi!.. »