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salle de police, les arrêts et la prison sont impuissans à suppléer aux châtimens corporels. De telles appréciations semblent dénuées de fondement. Partout dans l’empire, l’étranger est frappé de la déférence du soldat pour ses chefs. Le petit nombre de recrues des classes jadis privilégiées, dont l’influence inspirait des inquiétudes aux vieux officiers, a montré d’ordinaire une soumission exemplaire. Les statistiques militaires témoignent elles-mêmes par des chiffres que la discipline n’a souffert ni du service obligatoire ni de la jeunesse des soldats. En 1870, le nombre des condamnations montait à 2,84 pour 100, celui des désertions à 0,52 pour 100. En 1874, le nombre des condamnés n’était plus que de 1,76 pour 100, celui des déserteurs de 0,34 pour 100. Le niveau intellectuel de l’armée s’est élevé d’une façon sensible, grâce, il est vrai, à l’élévation du niveau même de la nation. Les progrès sont remarquables dans toutes les sphères. Le soldat a l’esprit plus ouvert, et son instruction est plus facile ; il commence à connaître le sentiment de la dignité et le sentiment de l’honneur. La transformation morale de l’armée est incontestable : nulle part ne sont plus visibles, plus frappans, les effets de l’émancipation.


III

La réforme militaire inaugurée en 1874 ne saurait avoir produit tous ses résultats. C’est seulement au bout de quinze, au bout de vingt ans même, si l’on comprend le dernier ban de la milice, que la Russie sera en possession de l’armée qu’elle attend de ses nouvelles institutions. L’organisation récente n’a presque pas augmenté l’effectif de paix, elle n’a pu davantage accroître les réserves, qui étaient la principale lacune de l’ancien système. L’effectif nominal est de 775,000 hommes, il était d’environ 750,000 avant 1874. À ce chiffre s’ajoutaient alors comme aujourd’hui une nombreuse cavalerie cosaque, l’armée du Caucase et l’armée d’Asie, ce qui donnait un total nominal, il est vrai, d’un million d’hommes, qu’avec les réserves l’on pouvait en cas de guerre porter à 1,300,000 ou 1,400,000 hommes. Si élevé que soit ce chiffre, il était inférieur aux forces dont pouvaient disposer des états bien moins peuplés que l’empire russe. La nouvelle organisation doit mettre fin à cette infériorité relative, et rendre à la Russie une supériorité numérique en rapport avec le nombre de ses habitans.

En comptant tous les hommes de vingt à quarante ans soumis au régime militaire, après avoir défalqué tous les cas d’exemption, les statisticiens arrivent à un chiffre total d’au moins 9 millions