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C’est navrant, et cependant plus navrante encore est la chanson de la Femme du roulier. Dans celle-ci, le mari ne se contente pas de courir les cabarets, il prend ses ébats « avec la servante, « et quand la femme légitime lui rappelle que « ses enfans sont sur la paille, » il a des réponses qui surpassent celles de Sganarelle dans le Médecin malgré lui :

Madame l’hôtesse,
Qu’on m’apporte du bon vin,
Là, sur la table ronde,
Pour boire jusqu’au matin,
Tirelin,
Puisque ma femme me gronde.


L’épouse délaissée rentre à son logis où on crie famine, et elle dit crûment à ses enfans :

Vous n’avez plus de père,
Je l’ai trouvé couché,
Tirelé,
Avec une autre mère.


Parfois, lasse d’être battue, dupée, et de crever de faim, elle abandonne à son tour son ménage et se console de son côté :

Je m’en vais au bois jouer
Avec ces moines et ces abbés,
Gaillarde brune.
Il est temps de m’en aller,
Car je vois la lune.


Pourtant, il faut le reconnaître, dans ces chansons campagnardes l’infidélité de la femme est plus rare, et, quand on l’y rencontre, elle est causée le plus souvent par l’abandon ou la sottise du mari, La paysanne aime à trouver dans son homme un maître, elle préfère être battue que d’avoir affaire à un époux sans énergie. Dès qu’elle voit les rôles intervertis, dès qu’elle mène son mari, elle le méprise, et du mépris à l’infidélité elle ne fait qu’une enjambée. Alors l’homme à son tour a la vie dure, on ne le ménage pas, et une ronde lorraine nous montre la façon piteuse dont il est traité :

Si je reviens du bois
Bien crotté, bien mouillé, voyez !
Je m’assois sur la porte
Sans y oser entrer, voyez !

— Rentre, lourdaud, rentre,
Et va-t’en te chauffer, voyez!
Les os sont sous la table,
Et va-t’en les ronger, voyez !
Y a du fumier dans l’étable,
Et va-t’en t’y coucher, voyez !