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Puis elles présentent à la mariée un gâteau et un bouquet, en chantant ces couplets mélancoliques que tous à la ronde écoutent religieusement et qui trouvent un écho dans chacun, réveillant ici un lointain souvenir, là une récente douleur :

Acceptez ce bouquet
Qui vous fera comprendre
Que tous ces vains honneurs
Passent comme des fleurs.

Acceptez ce gâteau
Qui vous fera comprendre
Qu’il faut pour se nourrir
Travailler et souffrir.


Il y a quelque chose de la majesté et de la grandeur des temps primitifs dans ce simple épithalame rustique, et ce qui le rend plus émouvant, c’est qu’il ne ment pas. Toute la vie du paysan y est résumée. Le lot de la femme dans l’existence campagnarde est de beaucoup le plus dur. Il lui faut travailler tout comme l’homme, et souvent plus que l’homme. Les enfans viennent ; il faut souffrir en les mettant au monde et souffrir pour les élever. Et qu’elle ne s’avise pas de tomber malade ! Le paysan préfère voir sa femme morte qu’alitée. Il y a en Lorraine un proverbe qui, dans sa dureté laconique, en dit gros sur la condition de la paysanne mariée : « Mort de femme et vie de chevau tirent l’homme haut. » Aussi toutes les chansons rustiques qui parlent du ménage et de ses tracas sont-elles d’un réalisme et d’une éloquence farouches. Autant dans les chansons d’amour la langue est fleurie d’images tendres et délicates, autant dans les chansons qui traitent de la vie conjugale elle est brutale et grossière :

Au bout d’un an, un enfant,
C’est la joyeuserie ;
Au bout d’deux ans, deux enfans,
C’est la mélancolie.

Au bout d’trois ans, trois enfans,
C’est la grand’diablerie :
Un qui demande du pain,
L’autre de la bouillie ;

L’autre qui demande à têter,
Et les seins sont taries ;
Le père est au cabaret
Qui mène mauvaise vie,

La mère est à la maison
Qui pleure et qui gémit…

(Chanson de la Saintonge.)