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remit à lancer la balle. Quand il revint à la statue pour lui reprendre son anneau, il s’aperçut avec terreur qu’elle avait recourbé son doigt et qu’elle entendait garder à jamais l’alliance qu’il lui avait donnée. Ces sortes de légendes ont toujours un fâcheux dénoûment, le héros unit toujours mal ; M. Jules Simon a mal fini.

Il ne faudrait pas toutefois exagérer l’importance de cet incident, ni en tirer des conclusions excessives et hasardeuses. Il y a en France un monde bien étrange, où l’on professe des opinions bien étonnantes. Les habitués de ce monde ou de cette coterie, beaucoup plus bruyante que nombreuse, qui, par un concours de circonstances particulières, se trouve exercer quelque influence sur les affaires publiques, avaient frémi d’horreur et d’indignation en entendant le président du conseil déclarer à la tribune que le saint-père est peut-être moins malheureux et moins prisonnier qu’il ne le prétend. Un grand sacrilège avait été commis, une malédiction planait sur la France, un acte expiatoire était nécessaire pour conjurer la vengeance céleste. L’acte expiatoire a été accompli, la chambre des députés a été prorogée, la salle de ses séances a été fermée, on la purifiera par des aspersions. Du même coup le cabinet a été changé ; on n’a pas détruit la république, mais, selon le mot d’un diplomate, on tâchera d’avoir « la république de Charles X. » La coterie mystique dont nous parlons demanderait volontiers à la France de sacrifier la meilleure part de son sang et, s’il le faut, de doubler sa dette, pour rétablir le pouvoir temporel. Sans doute ceux qui rêvent ces grandes choses n’ignorent point que le peuple qui se fera le champion du cléricalisme aura contre lui non-seulement les armées de l’Allemagne et de l’Italie, mais toutes les idées du siècle et les répulsions de toute l’Europe. L’isolement auquel ils condamneraient leur pays, les antipathies et les armées de l’Europe ne sont point pour les effrayer ; ils estiment que la bénédiction du saint-père suffit à tout, et ils comptent sur un miracle du ciel pour mener à bonne fin leur croisade.

Les salons où l’on agite ces beaux projets ne décideront pas des destinées du pays. En vain les ennemis de la France affectent de voir en elle le suppôt de l’ultramontanisme et de répéter tous les jours qu’elle est prête à partir pour la guerre sainte ; ils la connaissent peu ou, pour mieux dire, ils ne veulent pas la connaître. Quelque besoin que le ministère du 17 mai puisse avoir du secours des cléricaux, quelques marques de bienveillance qu’il soit disposé à leur donner, il ne les consultera point dans les questions de politique étrangère. Le président du nouveau cabinet est un homme d’état beaucoup trop sérieux pour régler sa conduite sur des cailletages de dévotes ou sur les rêveries apocalyptiques de quelques énergumènes. Il sait que la France est affamée de paix, qu’elle a pris en horreur les aventures et les aventuriers ; il sait surtout que, si son gouvernement lui proposait de faire une guerre de religion, elle le considérerait comme le pire de ses ennemis. Le