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plus rien à perdre, il n’a plus rien à ménager. Il y a désormais au Vatican un tribun infaillible, lequel cite à sa barre tous les gouvernemens ; en vain surveille-t-on ses lèvres, il en tombe des paroles enflammées qui allumeraient des incendies, si nous vivions dans un âge de foi.

Ce tribun infaillible est d’autant plus libre que la loi des garanties, votée par les chambres italiennes, lui a attribué le privilège de l’exterritorialité ; il n’est le sujet de personne, et il ne répond de rien qu’à lui-même. Lorsque cette loi fut promulguée, Pie IX se plaignit que ses ennemis l’avaient traité comme le Christ, qu’ils l’avaient revêtu des insignes d’une souveraineté dérisoire, qu’ils lui avaient mis sur les épaules un manteau d’écarlate et dans la main un roseau en guise de sceptre. Il sait bien lui-même tout ce que vaut ce roseau, et il a prouvé plus d’une fois qu’il savait s’en servir pour frapper ses ennemis au visage et pour parer tous les coups qu’ils essayaient de lui porter. En vertu de la loi des garanties, le Vatican est un lieu clos et sacré, un refuge inviolable. Si, comme on le dit, le pape est en prison, il est maître absolu dans sa prison, et le gouvernement italien n’oserait pas frapper à sa porte pour lui transmettre les réclamations d’Attila, qui se déclare offensé par ses invectives. A plusieurs reprises, M. de Bismarck a protesté contre la loi des garanties ; il a insinué au gouvernement italien qu’il serait bon d’en modifier les clauses et de garantir à leur tour les puissances étrangères contre les provocations pontificales. Le gouvernement italien a fait la sourde oreille ; sa politique ecclésiastique est bien différente de celle qu’on pratique à Berlin. L’Italien n’est pas jeune, et il n’a aucun des défauts de la jeunesse ; il se défie des mesures précipitées et violentes, il est peu disposé à se servir d’un sabre pour résoudre une question délicate. Son bon sens un peu sceptique prend son parti de bien des choses, et juge que les affaires humaines ont bien des faces, que la patience est le meilleur remède aux situations embrouillées, qu’il faut savoir tirer les négociations en longueur, que tout finit par s’arranger ; le temps, c’est de l’espérance pour tout le monde. L’Italien a le génie des transactions, des compromis, et sa première qualité est qu’il sait attendre. Un diplomate français, qui se piquait de sang-froid, avait une femme vive, acariâtre, avec laquelle il se prenait quelquefois de querelle ; honteux de s’être fâché, il s’écriait avec dépit : « Ce qui est insupportable, madame, c’est que vous m’obligez à élever la voix et à forcer ma pensée. » Quelque déplaisir que puissent causer au gouvernement italien les véhémentes sorties du saint-père, il ne perd jamais son sang-froid, il n’a garde d’élever la voix ni de forcer sa pensée ; il secoue ses oreilles, il attend, et il dit à M. de Bismarck : Prenez patience comme nous. Mais le chancelier de l’empire a un tout autre tempérament, et la longanimité transalpine lui agrée peu ; il a le goût des moyens rapides, des mesures expéditives, des solutions sommaires. Feu le marquis Gino Capponi nous racontait jadis que, Massimo d’Azeglio