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LA
POLITIQUE CONFESSIONNELLE
EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE

Dans son Introduction à la science sociale, un éminent philosophe anglais, M. Herbert Spencer, a consacré quelques pages intéressantes à l’examen de ce qu’il appelle « le préjugé théologique ; » il a signalé l’influence que ce préjugé exerce sur les actions humaines et sur la conduite des sociétés. Le préjugé théologique consiste à croire que la théologie possède tous les secrets de la vie présente aussi bien que de la vie future, à considérer le respect du dogme, la ferveur et la soumission dans la foi et la pratique de certaines observances comme une meilleure garantie du bonheur des peuples qu’un bon code civil, que de sains principes d’économie politique et même que l’obéissance aux lois de la morale universelle. M. Spencer rappelle à ce propos l’entretien qu’eut le célèbre voyageur Palgrave avec le wahabite Abd-el-Kareem, qui lui représentait qu’il y a de grands et de petits péchés, et que le premier des grands péchés est d’adorer un autre Dieu qu’Allah. « J’en conviens, lui répondit M. Palgrave, l’énormité d’un tel péché est incontestable ; mais si c’est là le premier, il doit y en avoir un second. Quel est-il ? — Fumer du tabac, répliqua-t-il sans hésitation. — Et le meurtre, l’adultère, le faux témoignage ? — Dieu est clément et miséricordieux, repartit le wahabite ; ce ne sont là que de petits péchés. » Il y a partout des Abd-el-Kareem ; l’Arabie n’est pas le seul pays où les théologiens se plaisent à raisonner savamment sur la distinction des grands et des petits péchés, et ce ne sont pas seulement les missionnaires wahabites qui enseignent que le libre examen est un crime, que les désobéissances de l’esprit perdent les peuples, mais qu’en revanche certaines peccadilles ne tirent pas à conséquence, pourvu