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les Anacrise dans les romans de Mlle de Scudéry ; mais il y a lieu surtout de s’étonner que M. Flaubert ne veuille pas voir qu’en dépit de l’érudition la plus sûre, des recherches les plus patientes et des trouvailles les plus heureuses, portraits, tableaux et descriptions de ce genre seront toujours et nécessairement faux, pour cette simple raison qu’ils n’ont pas été vus par le peintre. Est-il donc si rare, même quand l’artiste ne prétend qu’à nous représenter ce que nous avons sous les yeux, qu’ayant noté les moindres détails avec la dernière précision, l’œuvre ne réussisse au total à produire qu’une impression confuse et ne nous donne enfin que le spectacle de ce qu’il y a peut-être de plus pénible à voir au monde, l’effort stérile d’un grand talent qui se fourvoie ? Eh oui ! quoi que M. Flaubert avance, quelque détail qu’il nous donne, on le sait, il a son texte et son autorité. Pline lui est garant qu’on arrosait de silphium les grenadiers de la campagne de Tunis et de telle croyance aux « escarboucles formées de l’urine des lynx. » Je le crois donc s’il nous dit que l’on mangeait à Carthage des oiseaux à la sauce verte ; je le crois encore s’il nous affirme que la vaisselle d’Hamilcar était d’argile rouge, rehaussée de dessins noirs ; je le crois toujours s’il lui plaît que dans cette vaisselle on mangeât ces oiseaux ; mais je dis que ce rapprochement, ce placage de couleurs criardes : « on leur servit des oiseaux à la sauce verte, dans des assiettes d’argile rouge, rehaussées de dessins noirs, » pour avoir été réel, n’en est pas cependant plus vrai, ni surtout plus esthétique. C’est comme le latin de nos collèges : une brusque métaphore de Tacite y rencontre une belle, limpide et souvent verbeuse expression, de Cicéron, Salluste y heurte Tite-Live, et c’est du Tite-Live et du Salluste, et du Cicéron, et du Tacite, et cependant ce n’est pas du latin.

Ajoutez que si l’érudition de M. Flaubert est solide, l’usage qu’il en fait ne laisse pas de prêter souvent à la critique. Par exemple, cette érudition est quelquefois impertinente, et c’est un soin bien superflu, si l’on parle de faisceaux, d’ajouter en façon de commentaire : « Les faisceaux, des baguettes reliées par une courroie avec-une hache dans le milieu. » Cette érudition a quelquefois le tort d’obscurcir ce qui serait de soi parfaitement clair, et sans autre utilité que de donner prétexte à M. Flaubert de placer une expression technique : « Les convives emplissaient la salle du festin. Elle avait trois nefs, comme une basilique. » Pourquoi « comme une basilique ? » Elle avait trois nefs comme une salle qui a trois nefs, sans doute, et je ne vois pas bien ce que la comparaison ajoute au renseignement. Cette érudition est quelquefois incohérente. M. Flaubert nous montre Salomé qui danse : « Ses bras arrondis, nous dit-il, appelaient quelqu’un qui s’enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu’un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde. » Mais ce souvenir d’une Psyché curieuse