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comme un patriarche et flamboyant comme un justicier, » s’avance sur le chasseur et lui dit par trois fois : « Maudit ! maudit ! maudit ! un jour, cœur féroce, tu assassineras ton père et ta mère. » Épouvanté de la prédiction, Julien renonce à la chasse ; puis, un jour ; comme il détachait une épée d’une panoplie, ayant par maladresse failli tuer son père, un autre jour ayant par mégarde cloué contre un mur, en tirant de la javeline, « le bonnet à longues barbes » de sa mère, il abandonne la maison paternelle et s’engage dans une troupe d’aventuriers qui passait.

Il devient bientôt fameux ; on le recherchait : « tour à tour il secourut le dauphin de France et le roi d’Angleterre, les templiers de Jérusalem, le suréna des Parthes, le négud d’Abyssinie et l’empereur de Galicut ! » tant et si bien qu’ayant sauvé des musulmans espagnols l’empereur d’Occitanie, celui-ci donna sa fille à ce vaillant guerrier. Passons les descriptions de palais, de jardins, de chambres et de vêtemens. Au milieu de son nouveau bonheur, une inquiétude ronge le gendre de l’empereur d’Occitanie. Il voudrait chasser, et il n’ose. Cependant « un soir du mois d’août, il entendit le jappement d’un renard, puis des pas légers sous sa fenêtre, et il entrevit dans l’ombre des apparences d’animaux. La tentation était trop forte ; il décrocha son carquois, et partit. Or ce même soir, tandis qu’il est en chasse, un vieil homme et une vieille femme frappent à la porte du château. Le père et la mère de Julien, car ce sont eux, sont accueillis par sa femme, qui les couche elle-même dans son propre lit,… et Julien avançait toujours à travers l’obscurité. Tout à coup derrière lui bondit un sanglier, puis un loup, puis des hyènes, puis un taureau, une fouine, une panthère, un choucas, et toutes ses victimes d’autrefois, toutes les bêtes de la création, désormais invulnérables à ses flèches comme à son « sabre, » formant autour de lui un monstrueux cortège, une sarabande infernale, mais pourtant joyeuse, où les singes le « pincent en grimaçant, » et l’ours « d’un revers de patte lui enlève son chapeau, » reconduisent au seuil de son palais le malheureux chasseur suffoqué d’une rage impuissante et d’une fureur d’halluciné. A la clarté de l’aube encore incertaine, en approchant du lit, comme il se baisse pour embrasser sa femme, « il sent contre sa bouche l’impression d’une barbe, » et c’est alors qu’éclatant de colère il dégaine, frappe, tue son père et sa mère : la prédiction est accomplie.

Comme il a quitté la maison paternelle, il fuit maintenant son palais, et s’en va « mendiant sa vie par le monde. » Il raconte son histoire, et les hommes, les bêtes même évitent son approche, et c’est en vain qu’il a « des élancemens d’amour pour les poulains dans les herbages. » Il arrive sur les bords d’un fleuve que nul n’ose plus traverser. Par dévoûment il devient passeur, il s’élève une misérable cabane, et quand, après avoir terminé son travail quotidien, il s’assoupit de lassitude, son sommeil est traversé de visions funèbres. Une nuit qu’il dormait, une