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et ces provocations de la chair qui sont, s’il était permis de joindre les deux expressions, la poésie du réalisme.

Dans la forme, ai-je besoin de dire que c’est toujours la même habileté d’exécution, — trop vantée d’ailleurs, — le même scrupule ou plutôt la même religion d’artiste, mais aussi la même préoccupation de l’effet, trop peu dissimulée, — la même tension du style, pénible, fatigante, importune, les mêmes procédés obstinément matérialistes ? Les lecteurs de M. Flaubert n’auront pas de peine à reconnaître, dans un Cœur simple, les longues énumérations monotones : « Au matin, la ville se remplissait d’un bourdonnement de voix, où se mêlaient des hennissemens de chevaux, des bêlemens d’agneaux, des grognemens de cochons ; » dans la Légende de saint Julien l’Hospitalier ces litanies interminables de noms et de costumes : « Il combattit des Scandinaves recouverts d’écailles de poissons, des nègres munis de rondaches en cuir d’hippopotame, des Indiens couleur d’or…, les troglodytes et les anthropophages ; » dans Hérodias ces comparaisons multipliées : « Elle dansa, comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les bacchantes de Lydie. » S’ils cherchent bien, ils reconnaîtront ces effets encore d’harmonie imitative : « Ses sabots, comme des marteaux, battaient l’herbe de la prairie, » qualifiés, comme on le sait, de vaine et puérile affectation chez les écrivains du temps jadis, admirables, à ce qu’il paraît, dans la prose de M. Flaubert. C’est que dans l’école moderne, quand on a pris une fois le parti d’admirer, l’admiration ne se divise pas, et l’on a contracté du même coup l’engagement de trouver tout admirable. Il est donc loisible à M. Flaubert d’appeler Vitellius « cette fleur des fanges de Caprée ; » quels rires cependant si c’était dans Thomas qu’on découvrît cette étonnante périphrase, et comme on aurait raison !

Maintenant rien de tout cela ne nous est étranger : nous retrouvons M. Flaubert, mais nous le retrouvons tel que nous le connaissons de longtemps, et c’est précisément, c’est surtout de quoi nous nous plaignons. Certes si ces Trois Contes, après tout, ne nous rappelaient qu’une manière d’artiste et des procédés de composition connus, bien loin qu’il y eût là prétexte seulement à critique, au contraire il faudrait louer une vigoureuse organisation qui, du premier effort ayant donné toute sa mesure, persiste résolument dans ses qualités et dans ses défauts, parce que ses défauts eux-mêmes sont une part, — et quelquefois la meilleure part, — de son originalité. Malheureusement ce n’est pas une manière, ce sont des paysages, des scènes entières, des visages connus qu’ils nous rappellent, ces Trois Contes ; les mêmes dessins sur les mêmes fonds, les mêmes tableaux dans les mêmes cadres, et ceci c’est la marque d’une invention qui tarit. Comme un peintre qui, s’avisant un jour de mettre de tordre dans ses portefeuilles, y reprendrait les