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même que, dans les funérailles des hommes qui avaient joué un rôle politique, on se plaisait à dérouler toute la gloire de la famille, ainsi, dans les éloges plus modestes des femmes, il semble qu’on se fît un devoir de montrer jusqu’à quel point la famille était honnête, et d’étaler à tous les yeux les arrangemens, les contrats, les comptes entre parens comme des témoignages de cette honnêteté. Évidemment le public prenait grand intérêt à voir dévoiler ces mystères qu’aujourd’hui on se garderait bien de divulguer. L’éloge funèbre devenait ainsi une suite de confidences, parmi lesquelles il y en avait parfois d’assez surprenantes sur le ménage et les plus secrets entretiens des époux. Ainsi dans cette inscription le mari nous révèle un touchant entretien qu’il eut avec sa femme au sujet d’une proposition qu’elle lui fit un jour et qu’il repoussa avec horreur, mais qui fait bien connaître l’abnégation héroïque de cette épouse sans pareille : « Désespérant de ta fécondité, affligée de ne pouvoir me donner des enfans, ne voulant pas que ce mariage stérile m’ôtât à jamais l’espoir d’une postérité, tu me parlas de divorcer pour ouvrir ma maison vide à la fécondité d’une autre épouse…, me promettant de regarder les enfans qui naîtraient comme tiens, ajoutant que notre patrimoine resterait commun, qu’il n’y aurait pas séparation de biens, que ceux-ci demeureraient comme par le passé sous ma main, que tu leur donnerais encore tes soins, si je le voulais ; qu’ainsi il n’y aurait rien de changé dans notre communauté et que désormais tu aurais pour moi les sentimens d’une sœur… Je dois avouer que cette proposition me transporta de colère et me mit hors de moi… Parler entre nous de divorce ! nous séparer avant que la loi fatale de la mort nous sépare ! te figurer que tu puisses cesser d’être ma femme ! Ai-je donc le désir et le besoin d’avoir des enfans au point de manquer à ma foi conjugale ? mais pourquoi en dire davantage ? tu demeuras ma femme, car je n’aurais pu céder à ton vœu sans me déshonorer et sans faire notre commun malheur. » Cette très longue inscription, dont les fragmens rempliraient bien dix pages de nos livres, est tout entière, sous forme d’une apostrophe, adressée non au public, mais à la défunte. Cette forme inusitée, bien que fort remarquable par sa continuité, n’est pas ce qui nous étonne le plus. Ce qui frappe surtout, c’est la confiance, l’abandon, la familiarité avec laquelle on expose à tous les regards les sentimens d’une femme, de sa propre femme, jusqu’à rappeler les conversations conjugales sur le sujet le plus délicat. Et pourtant ce n’est pas un homme simple qui parle, c’est un personnage consulaire, ce que nous appellerions un homme du grand monde. Dans ces éloges funèbres, il y a une candeur peu discrète, bien que toujours noble.